Les milliards d'euros dormant sur des comptes bancaires inactifs ou sur des contrats d'assurance-vie non réclamés en France sont au cœur d'une proposition de loi, débattue mercredi à l'Assemblée nationale, qui favorise le retour des sommes à leurs propriétaires et protège mieux les intérêts de l'Etat, bénéficiaire en dernier recours.

Le texte en discussion ce mercredi à l'Assemblée, qui a un « but d'intérêt général incontestable » et vise à « régler définitivement une situation anormale » selon le rapporteur général du Budget Christian Eckert, devrait être très largement voté. Toute la gauche y est favorable, même si le Front de Gauche regrette l'absence de sanctions. La droite entend voter pour, l'UMP affirmant qu'il prolonge l'une de ses propositions de loi sur l'assurance-vie votée en 2007. La Fédération française des sociétés d'assurances a aussi exprimé son soutien, expliquant que les assureurs souhaitaient « régler complètement cette question des contrats non réclamés ».

« L'affaire pourrait faire sourire s'il n'y avait pas quelques milliards d'euros en jeu » qui ont pu contribuer à enrichir quelques banques ou compagnies d'assurance mais aussi priver des épargnants ou leurs héritiers de « sommes rondelettes », observe sur son blog Christian Eckert. Au moins 4 milliards d'euros au total, majoritairement sur des assurance-vie, selon l'évaluation de la Cour des comptes faite à la demande de la commission des Finances de l'Assemblée.

670.000 comptes de centenaires pour 20.000 centenaires

Les banques comptabilisent des dizaines de milliers de comptes bancaires inactifs, oubliés par leurs détenteurs de plus en plus multibancarisés et mobiles ou tout simplement ignorés au moment du règlement des successions du titulaire décédé, selon le rapporteur général.

Exemple le plus parlant : les banques détiennent plus de 670.000 comptes bancaires de centenaires... alors que le nombre de centenaires dépasse légèrement 20.000 en France.

Les assureurs sur la vie laissent également en déshérence de nombreux contrats souscrits au profit de bénéficiaires, qui ne le savent pas ou qui restent introuvables faute parfois de recherches suffisantes, constate Christian Eckert. Des frais abusifs sont parfois prélevés et des sommes importantes ne sont pas revalorisées, note encore ce député de Meurthe-et-Moselle.

De nouvelles obligations à compter de 2016

Pour mieux protéger les épargnants ainsi que les intérêts de l'Etat, le texte cosigné, entre autres, par le chef de file des députés PS Bruno Le Roux, prévoit de nouvelles obligations pour les banques et les assureurs, à compter de début 2016.

Sur les comptes bancaires inactifs, la proposition de loi en donne une définition et crée notamment une obligation de recensement annuel mais aussi de transfert des fonds à la Caisse des dépôts et consignations au-delà d'un certain délai. Pour les assurances-vie, elle prévoit la fin du contrat s'il n'y a eu aucune réclamation du capital 10 ans après la connaissance du décès ou l'échéance du contrat, le plafonnement des frais de gestion ou l'obligation de transférer les fonds dormants à la CDC. Les notaires seront obligés de consulter le fichier central des assurances-vie (Ficovi).

La Caisse des dépôts et consignations détiendra les sommes présentes sur les comptes bancaires inactifs depuis plus de deux ans en cas de décès ou dix ans dans le reste des cas, ainsi que sur les contrats d'assurance-vie non réclamés depuis plus de 10 ans. Les bénéficiaires auront 20 ans pour se manifester auprès d'elle. Passé ce délai, l'Etat sera destinataire des fonds.

« Laisser aux banques et assureurs un délai raisonnable » pour s'adapter

Autre objectif de la proposition de loi : obtenir le respect réel de la clause de déchéance au bout de 30 ans, en vertu de laquelle l'Etat devient l'ultime destinataires des fonds non réclamés. Jusqu'alors, observe le rapporteur, toutes les banques ne paraissent pas avoir instauré les procédures nécessaires. A l'avenir, le « gendarme » des banques et des compagnies d'assurance, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), sera notamment chargé de veiller au respect des règles, voire de prononcer des sanctions.

Avant chaque étape, il est prévu d'informer les souscripteurs ou ayants droit pour limiter l'atteinte au droit de propriété et réduire aux seuls cas où les bénéficiaires sont introuvables le transfert final des fonds à l'État.

Une fois adopté à l'Assemblée, le texte pourrait être discuté au Sénat à l'automne. Initialement prévue début 2015, l'entrée en vigueur a été repoussée en commission à début 2016, par souci de « laisser aux établissements bancaires et aux assureurs un délai raisonnable » pour s'adapter.