Suite de notre entretien avec Patrice Bernard, consultant et blogueur (1) spécialiste de l’innovation bancaire. Après une première partie consacrée aux usages des « big data » dans le secteur bancaire, nous recentrons cette fois le sujet sur les données, de paiement notamment, collectées par les banques sur leurs clients.

Lire ou relire la première partie de l’entretien : Big data : les banques françaises sont-elles enfin prêtes à se lancer ?

Patrice Bernard, les banques collectent et stockent des données très riches sur leurs clients, notamment sur leurs habitudes de consommation. Ne sont-elles pas tentées de les utiliser, voire de les commercialiser ?

« Effectivement, et certaines commencent même à le faire. Il s’agit bien sûr de données anonymisées, par exemple de statistiques sur les dépenses, les habitudes de consommation des ménages, qui sont plus fines que tout ce que peut proposer un organisme du type Insee (2). Une banque australienne, UBank, met ainsi en ligne, sur son site internet, ce type de statistiques, et les vend aussi à d’autres entreprises ou à des institutions. »

En France, on pense également à la banque en ligne Fortuneo, qui permet à des annonceurs de solliciter commercialement les utilisateurs de son application mobile de gestion, Fortuneo Budget…

« C’est vrai mais là encore, Fortuneo ne vend pas les données bancaires de ses clients : elle offre la possibilité à des annonceurs de cibler des comportements, des profils. La différence est subtile, mais très importante du point de vue déontologique. Par exemple, Fortuneo peut proposer à une chaîne de restauration rapide d’afficher une publicité aux clients qui ont récemment effectué un paiement chez un de ses concurrents. Dans ce cas, les données de ces clients ne sortent jamais de la banque. »

Lire à ce propos : Fortuneo Budget : des « bons plans » ciblés en fonction des habitudes de consommation

L’exploitation des données bancaires peut-elle modifier le modèle économique traditionnel de la banque de détail, basé notamment sur la facturation des produits et services fournis aux clients ?

« C’est effectivement une nouvelle source potentielle de revenus. De là à transformer le métier de la banque, je ne pense pas. Il s’agit plutôt de modèles complémentaires, permettant de compenser la diminution des marges dégagées sur certains produits, comme la carte bancaire. Le plafonnement, par exemple, des commissions payées par les commerçants sur les paiements par carte peut encourager les banques à aller chercher de l’argent ailleurs. On devrait donc voir apparaître rapidement, sûrement en 2014, des modèles de revenus liés aux données bancaires. »

Mais les clients sont-ils prêts à accepter que leurs données bancaires soient exploitées commercialement ?

« Aujourd’hui, la difficulté vient de la mauvaise image des banques, souvent considérées par le grand public comme trop voraces. Elles ont un problème de crédibilité. Mais sur le principe, si les services qu’elles proposent en échange apportent un vrai plus, il n’y a pas de raison que cela ne fonctionne pas. »

Elles devront pour cela faire preuve de pédagogie…

« Oui, les banques ont une responsabilité particulière vis-à-vis de la confidentialité des données qu’elles détiennent, ce qui explique sans doute qu’elles soient si timides sur le sujet. C’est une objection qui revient souvent dans le discours des banquiers : “En France, c’est interdit, on ne peut rien faire“. Je suis absolument convaincu que c’est faux. Dans leur immense majorité, les initiatives dans ce domaine n’impliquent pas de données personnelles identifiables. Le problème est ailleurs : ce sont souvent des dispositifs complexes, et réussir à les expliquer simplement tout en maintenant la confiance est un job difficile. »

(1) Sur C’est pas mon idée

(2) Institut national de la statistique et des études économiques