En proposant un compte courant disponible hors des banques classiques, Compte-Nickel, en cours de déploiement dans les bureaux de tabac, marque une rupture sur le marché français. Mais dans un pays où 98% de la population détient au moins un compte bancaire, où le réseau d’agences bancaires est l’un des plus denses au monde, a-t-il des chances de trouver son public ?

Ouvrir un compte courant, avec RIB et carte de paiement à autorisation systématique, en cinq minutes dans un bureau de tabac : c’est la promesse faite par Compte-Nickel, dont nous évoquions récemment les caractéristiques et les tarifs.

Lire également : Compte-Nickel : quels tarifs pour le compte courant distribué dans les bureaux de tabac ?

Le lancement grand public est prévu pour janvier prochain, le temps d’agréer et d’équiper quelques centaines de buralistes. A terme, la société qui pilote le projet depuis 2011, la Financière des paiements électroniques (FPE), espère convaincre entre 5.000 et 6.000 bureaux de tabac, sur les 27.000 recensés, de distribuer le produit. Soit un réseau de points de vente supérieur à celui de la Caisse d’Epargne, par exemple.

La FPE, il faut dire, voit grand. Le président de son comité de surveillance, Hugues Le Bret, accessoirement ancien patron de Boursorama Banque, a annoncé à plusieurs reprises dans la presse que la ligne de flottaison du projet se situait à 100.000 comptes ouverts. Un objectif qu’il espère atteindre fin 2014, en tablant sur 5.000 ouvertures par mois d’ici là. « Cela paraît très ambitieux », estime Pierre de Brabois, consultant spécialisé dans la banque de détail au sein du cabinet Kurt Salmon. « A titre de comparaison, une marque comme Boursorama Banque, qui investit massivement dans la publicité, compte environ 500.000 clients au bout d’une dizaine d’années d’existence. »

La « Logan » des comptes courants

Pour parvenir à ses objectifs, la FPE présente son produit comme le « premier compte low-cost pour tous ». « Le modèle, c’est EasyJet, Free, la Logan, mais aussi le stylo Bic ou Leader Price », expliquait le 16 octobre dernier Hugues Le Bret dans un entretien aux Echos. « Tous ceux qui ont su faire une promesse de marque simple avec des prix tirés vers le bas ». Pour Pierre de Brabois, l'inspiration est bonne : « Les banques ont tendance à charger leurs packages de services soit trop luxueux, soit inutiles pour le consommateur ».

Facturé au moins 20 euros par an, simplement pour accéder au service, Compte-Nickel n’est pourtant pas le moins cher des comptes courants disponibles sur le marché. Les banques 100% en ligne, comme ING Direct, Boursorama Banque ou Fortuneo, affichent une gratuité totale sur la carte bancaire et les opérations de banque au quotidien. A condition, bien sûr, de pouvoir justifier d’un minimum de revenus : 1.200 euros nets mensuels par exemple chez Boursorama Banque pour obtenir une carte Visa Classic gratuite.

Ceux qui disposent de revenus de ce niveau n’ont donc a priori aucun intérêt à se tourner vers Compte-Nickel, même s’ils cherchent à ouvrir un compte secondaire. Sauf peut-être s’ils sont allergiques à internet : dans ce cas, le fait de pouvoir souscrire dans des points de vente physiques, avec en plus la possibilité de faire des dépôts d’espèces (payants), peut être un plus.

La « banque » de ceux qui ont peur des banques ?

Le cœur de cible de Compte-Nickel est sans doute à chercher ailleurs, parmi les Français qui, soit parce qu’ils sont interdits bancaires ou en situation financière fragile, soit par méfiance, soit encore parce qu’ils vivent loin ou en marge des centres urbains, restent à l’écart du système bancaire. « La peur du banquier existe bel et bien chez certaines personnes » confirme Pierre de Brabois. La FPE l’a compris, en décrivant sur son site son produit comme le « premier compte sans banque, sans conditions de revenus, sans dépôt minimum ». « Selon les ONG, six millions de Français ont des difficultés avec les banques » a même chiffré Hugues Le Bret, toujours dans l’entretien accordé aux Echos.

Toutefois, la FPE n’est pas le seul établissement à cibler cette large population. Certains proposent déjà des cartes bancaires prépayées, non reliées à un compte bancaire, parfois disponibles elles aussi chez des buralistes. « Le Compte-Nickel a toutefois l’avantage d’offrir un RIB, qui permet de domicilier des revenus ou de toucher des prestations sociales » note Pierre de Brabois.

Compte-Nickel va également entrer en concurrence avec La Banque Postale et ses 17.000 points de vente. La filiale de La Poste, financée sur des fonds publics, a en effet l’obligation de fournir gratuitement un Livret A (avec carte de retrait) à toutes les personnes qui en font la demande. Il existe également le dispositif du « droit au compte », qui permet à toute personne essuyant un refus d’ouverture de compte d’accéder gratuitement à des services bancaires de base, incluant notamment une carte de paiement à autorisation systématique et deux chèques de banque par mois, dans un établissement désigné par la Banque de France.

Enfin, Compte-Nickel pourrait faire doublon avec la « Gamme de moyens de paiement alternatifs au chèque » (GPA). Ce dispositif, distribué par toutes les banques à réseau (leur association professionnelle, la FBF, s’y est engagée auprès de l’Etat), prend la forme d’un forfait de services bancaires, dont une carte de paiement à autorisation systématique, vendu à prix réduit : 39,54 euros par an, soit 3,30 euros par mois, en moyenne, en juillet 2011 (1). C’est un peu plus que le Compte-Nickel, mais contrairement à lui, la GPA permet d’accéder à une offre bancaire complète, y compris des produits d'épargne, des facilités de caisse et des assurances.

Dans ce contexte, les « exclus du système » préféreront-ils ouvrir un compte dans un bureau de tabac, plutôt que de s’adresser aux banques ? L’avenir de Compte-Nickel dépend assez largement de la réponse à cette question.

Les jeunes et les voyageurs

Par ailleurs, la FPE ne compte pas uniquement sur les populations fragiles pour parvenir à atteindre leur masse critique. Le produit s’adresse plus généralement à « tous les gens qui veulent payer le prix juste pour la juste prestation », a répété Hugues Le Bret. L’établissement espère notamment attirer l’attention d’une clientèle jeune. « Le Compte-Nickel est un compte bloqué : nous pouvons devenir la première carte des jeunes » espère Le Bret. Toutefois, sur ce segment aussi, la partie s’annonce compliquée. En effet, les banques classiques s’intéressent également de très près à cette clientèle, et leurs offres sont particulièrement agressives. La Caisse d’Epargne, par exemple, propose aux 18–25 ans un forfait de compte à 1 euro par mois, comprenant une carte Visa Classic et un découvert autorisé gratuit.

Autre cible visée par la FPE : les voyageurs. Les paiements effectués hors zone euro ne seront en effet pas soumis à commission, Compte-Nickel se contentant d’appliquer sur ces opérations le taux de change du Crédit Mutuel Arkéa, le partenaire bancaire du projet. Mais méfiance si vous voyagez en voiture : la carte à autorisation systématique est refusée dans les péages automatiques ou les automates des stations essence.

Enfin, le compte bancaire low-cost pourrait intéresser les amateurs de commerce en ligne, qui souhaiteraient éviter, par sécurité, d’utiliser leur compte principal pour leurs achats. Mais là encore, « il y a moyen de trouver moins cher », conclut Pierre de Brabois.

(1) Source : rapport 2012 du Comité consultatif du secteur financier