Sylvain Fagnent est en charge de la banque de détail au sein d'OCTO Technology, un cabinet de conseil spécialisé dans les systèmes d’information. Dans ce cadre, il a mis en place une méthode de suivi et d’évaluation des innovations de ce secteur, qui croise deux axes : la maturité technologique et l’intérêt pour l’usager. Les banques françaises ont-elles su s’adapter aux nouvelles attentes de leurs clients ? Quels sont les acteurs bancaires les mieux armés face à l’évolution des technologies et des usages ? Interview.

Sylvain Fagnent, on a le sentiment, en France, d’un secteur bancaire qui innove peu, par rapport à ce qui peut se passer aux Etats-Unis ou même en Grande-Bretagne. Vos recherches sur la question confirment-elles ce sentiment ?

« Il me semble en effet que les banques françaises ont du mal à sortir de leurs pratiques classiques. Elles ont tendance à reproduire les mêmes manières de faire. Par exemple, les interfaces de consultation de comptes, sur internet ou mobile, sont à peu près toutes les mêmes et proposent une vision comptable des choses. Elles ne se posent pas la question des informations que cherchent en priorité les usagers : combien me reste-t-il d’argent, en tenant compte des dépenses récurrentes ? Puis-je m’autoriser telle dépense ? Vais-je réussir à atteindre mon objectif d’épargne ? Hello Bank, la toute récente banque en ligne de BNP Paribas, en est un exemple : une interface riche, 100% mobile et intégrant les réseaux sociaux, mais sans révolution majeure par rapport à ce qui existe déjà. A l’inverse, un projet comme Soon, développé actuellement par Axa Banque, change de paradigme en se centrant sur les attentes du client. »

Une des innovations que les banques françaises mettent le plus en avant actuellement, c’est le paiement sans contact grâce à la technologie NFC (1). De votre côté, vous estimez que la NFC n’est pas mature technologiquement et présente un faible gain d’usage pour le client…

« C’est vrai, les banques parlent beaucoup de la NFC, mais il y a beaucoup d’effets d’annonce autour de cette technologie. En réalité, elles en sont encore au stade de l’expérimentation, autour d’initiatives très localisées, mais qui ne décollent pas. La NFC est l’exemple même de l’innovation dont le gain d’usage pour le client est modeste, et qui n’affiche pas encore les gages de sécurité nécessaires pour que les gens s’en emparent en toute confiance. Qu’est-ce que la NFC apporte de plus que Monéo, par exemple, qui en son temps n’a pas pris ? Créer un simple porte-monnaie électronique n’est pas suffisant, il faut l’accompagner d’un ensemble de services pour créer l’adhésion de l’utilisateur. Bon an mal an, la NFC va peut-être s’imposer en France, mais ce sera plus le fait du volontarisme des banques que de l’engouement du public. »

La question de l’innovation vous paraît-elle stratégique pour le secteur bancaire ? Peut-elle à elle seule faire bouger les lignes, modifier les parts de marché des différents acteurs ?

« Oui, l’évolution de la législation et l’inertie des grands réseaux va permettre l’émergence d’une multitude de nouveaux acteurs non-bancaires, qui vont grignoter par petits bouts des parts de marché. Nous vivons, je pense, une rupture, la fin du consensus oligopolistique entre quelques gros acteurs. On le constate déjà près de chez nous, en Angleterre. Et nous en avons aussi des exemples en France. Je pense au Compte Nickel, lancé par un acteur non-bancaire et qui répond à un vrai besoin, ou à Linxo qui permet aux usagers de suivre leurs comptes sans passer par le site de leur banque. Je pense également à la finance participative, qui pourrait être une alternative au financement bancaire si la législation évolue et que les gens s’en emparent. La demande existe ! Entre les grandes banques aussi, les lignes peuvent bouger. Il y aura, je pense, une prime aux plus innovants avec l’arrivée d’une nouvelle génération de clients, qui sont moins attachés à une enseigne en particulier et attirés par de nouveaux services. Certaines enseignes, comme Axa Banque, Crédit Mutuel Arkéa ou le Crédit Agricole, l’ont, je pense, mieux compris que d’autres. »

Vous avez évoqué à plusieurs reprises, dans des articles, la fin prochaine des agences bancaires telles qu’on les connaît actuellement. Qu’est-ce qui vous laisse penser cela ?

« Effectivement, le déclin des agences bancaires me paraît inéluctable. Plusieurs indices montrent d’ailleurs que le processus est déjà en marche. La chute de leur fréquentation est déjà une réalité. La souscription 100% à distance des produits bancaires (crédit immobilier inclus) progresse régulièrement, et va accentuer le phénomène. On constate d’ailleurs que les syndicats qui représentent les salariés des banques commencent à tirer la sonnette d’alarme sur l’emploi. Quel intérêt y aura-t-il bientôt à aller dans une agence ? On évoque souvent leur transformation en centres d’expertise. Mais pour cela, il va falloir former le personnel, car ces dernières années, les banques ont eu plutôt tendance à embaucher des vendeurs que des experts en placements. »

Quelle est aujourd’hui la principale demande des clients, selon vous ?

« Il y a aujourd’hui un vrai attente pour du conseil, du type de celui qu’on peut trouver dans les banques privées mais avec un ticket d’entrée plus accessible. Plus généralement, je pense que le marché de la banque de détail va de plus en plus se structurer, comme d’autres secteurs avant lui, autour d’un axe low-cost / premium. Du low-cost généralisé pour les moyens de paiement et les opérations du quotidien, qui sont de plus en plus automatisées ; du service premium payant, qui apporte un vrai plus en matière de conseil. La banque qui saura s’adapter le mieux à cette évolution va gagner des points. »

(1) Pour « Near Field Communication », technologie de communication qui, embarquée sur une carte ou un mobile, par exemple, permet d’effectuer des paiements sans contact.