Le gouvernement a annoncé vouloir mettre en place, courant 2013, un « registre national des crédits aux particuliers ». Une mesure, destinée à lutter contre le surendettement, en faveur de laquelle Oney Banque Accord, milite de longue date. Passage en revue des arguments des pro-« fichier positif », avec Jérôme Guillemard, président de la filiale de crédits du groupe Auchan.

Jérôme Guillemard, Oney Banque Accord milite depuis des années pour la mise en place d’un « fichier positif » regroupant l’ensemble des crédits contractés par les Français. Pourquoi cet engagement, que vous êtes une des rares banques à porter aussi fort ?

« La réponse est simple : nous n’avons pas vocation à surendetter nos clients, et nous pensons que ce fichier nous aiderait dans cette démarche. Quelques chiffres : depuis la loi Lagarde (1), 233 de nos clients ont déposé des dossiers de surendettement, qui comprenaient entre 11 et 33 crédits en cours. Tous ces dossiers, ou presque, auraient pu être évités si un fichier positif avait existé. Sur ces 233 cas, seuls trois clients avaient correctement indiqué leurs charges réelles au moment de la signature du contrat. Le déclaratif a son intérêt, mais certains sont malheureusement prêts à enjoliver la situation pour obtenir un crédit. Depuis 20 ans, malgré une douzaine de lois majeures sur le crédit à la consommation, le surendettement continue à croître, avec des dossiers où l’endettement moyen dépasse les 40.000 euros, contre 15 à 20.000 euros dans les pays européens qui ont mis en place un fichier positif. Celui-ci n’évitera donc pas tous les cas de surendettement, mais s’il permet de diviser par deux le montant des créances dans les dossiers de surendettement, le jeu en vaut la chandelle. »

Si ce répertoire national des crédits n’a que des avantages, pourquoi les banques et la plupart des associations de consommateurs s’y opposent-elles ?

« Cette affirmation est fausse : les banques ouvertement hostiles au fichier positif sont rares, mais ce sont les plus grosses : le Crédit Agricole et BNP Paribas. Ce constat est aussi vrai pour les associations de consommateurs : la principale, UFC-Que Choisir, y est hostile, mais ce n’est pas le cas de toutes. Et quand on interroge les Français sur cette question, ils sont très majoritairement pour le fichier positif, y compris les personnes surendettées qui veulent des garde-fous. »

Pourquoi cette opposition du Crédit Agricole et de BNP Paribas ?

« Elles ne s’en cachent plus : ces deux banques disposent, de par leur taille et leur nombre de clients, de leurs propres « fichiers positifs », en interne. Du coup, elles ne veulent pas que leurs concurrents disposent d’un outil comparable. Par contre, leurs filiales, dans les pays qui ont mis en place le fichier, l’utilisent et en font même parfois la promotion. »

Les opposants au fichier positif avancent tout de même quelques arguments. Son coût, par exemple, jugé trop élevé par rapport à son efficacité supposée…

« Le dernier pays en date à avoir mis en place ce type de répertoire est le Portugal. Si le Portugal, dont on connaît les difficultés économiques, est capable de le faire, pourquoi pas la France ? De notre point de vue, les chiffres avancés sont en général très surestimés. Nous estimons que sa mise en place coûterait environ 40 millions d’euros. Mais la gestion du surendettement en France, c’est près de 200 millions d’euros par an, au frais du contribuable. »

Autre argument des anti : la question de la confidentialité des données et des utilisations détournées du fichier, notamment à des fins commerciales…

« Nous n’avons évidemment pas vocation à utiliser ce fichier pour démarcher de nouveaux clients. Par ailleurs, il existe d’autres fichiers bancaires en France, comme le FICOBA (2), qui est utilisé par toute une série de professions, sans que cela semble gêner qui que ce soit. La CNIL a effectivement émis des réserves sur l’utilisation du numéro de sécurité sociale comme moyen d’identification. Il faudra donc encore travailler sur ce point. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas un argument suffisant pour freiner la création du fichier positif. »

Avez-vous été étonné par l’annonce de Jean-Marc Ayrault (3), alors que quelques semaines auparavant, le ministre délégué à la consommation, Benoît Hamon, semblait peu enthousiaste ?

« Ce sont surtout les réserves de Benoît Hamon qui m’avaient étonné. Lors de la discussion sur la loi Lagarde, une majorité d’élus de gauche semblait favorable au fichier positif. Je pense qu’une fois le sujet sur la table, le gouvernement s’est vite rendu compte de ses avantages. »

Comment jugez-vous, avec le recul, la loi Lagarde ?

« Nous aurions préféré qu’elle donne la priorité au fichier positif, la mesure la plus efficace contre le surendettement selon nous, plutôt que de chercher à compliquer l’accès aux crédits à la consommation. Elle a toutefois eu des effets bénéfiques, en limitant la commercialisation de crédits renouvelables abusifs. »

Le gouvernement a annoncé vouloir éclaircir certains « zones grises » de la loi Lagarde, par exemple en découplant les cartes de crédit et les cartes de fidélité. Etes-vous favorable à cette mesure ?

« Je ne suis pas sûr qu’elle soit à l’avantage du client, qui devra présenter deux cartes au lieu d’une. Par ailleurs, il n’y a pas, chez nous, de problèmes avec ces cartes : le client fait son choix au moment du paiement, l’option qui lui est présentée en premier est le paiement comptant, il n’est donc pas incité à utiliser le crédit. Je pense donc que ce serait une erreur pour le développement de la consommation. »

(1) La loi portant réforme du crédit à la consommation, promulguée en juillet 2010, et portée par la ministre de l’Economie de l’époque, Christiane Lagarde.

(2) Fichier national des comptes bancaires et assimilés, qui recense tous les comptes bancaires ouverts en France et leurs titulaires.

(2) Le Premier ministre a annoncé le 11 décembre dernier que la création d’un registre national des crédits aux particuliers sera inclue dans la future loi sur la consommation, au printemps 2013.