Le taux du Livret A, un calcul mathématique ou un sujet politique ? Une nouvelle fois, les enjeux politiques et économiques l’ont emporté sur la stricte application de la formule de calcul.

Il était attendu à 1% au 1er août. Il restera finalement scotché à 0,75% pour au moins 6 mois supplémentaires, jusqu’au 1er février 2018, sauf cataclysme économique. Pour le maintenir à 0,75%, Banque de France et gouvernement ont dérogé à la formule de calcul, un cas de figure de plus en plus fréquent depuis que la rémunération du Livret A a atteint son plus bas niveau historique, à 0,75%, il y a maintenant 2 ans.

En août 2015, déjà, avec une stricte application de la formule de calcul, le taux aurait dû tomber à 0,50%. Mais le gouverneur de la Banque de France et le gouvernement avaient préféré une diminution modérée, à 0,75%. Le même scénario s’est répété en février et août 2016 : en théorie, le rendement aurait dû être abaissé à 0,50% mais Bercy avait arbitré en faveur d’un maintien à 0,75%. Puis, en novembre dernier, le gouvernement a fait évoluer la formule de calcul du taux. Parmi les objectifs alors énoncés par le ministre de l’Economie et des Finances de l’époque, Michel Sapin : « rendre plus prévisible et lisser l’évolution du taux du Livret A ».

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Pourquoi la nouvelle formule n’a-t-elle pas été appliquée ?

Dans son communiqué diffusé jeudi, le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau confirme que cette nouvelle formule conduisait à une hausse de la rémunération du livret le plus répandu en France : « En juin 2017, les taux de référence [Eonia et inflation, NDLR], qui sont calculés depuis l’automne 2016 en moyenne semestrielle, ont été respectivement de -0,35% et de 1%. L’application mécanique de la formule aurait donc pu conduire à relever, au 1er août 2017, le taux du livret A de 0,75% à 1%. » Le graphique ci-dessous montre que l’inflation annuelle moyenne au cours des 6 derniers mois dépasse désormais le taux du Livret A.

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Problème : si l’inflation moyenne sur le 1er semestre 2017 atteint 1%, c’est avant tout à cause de la forte tension sur le marché des prix du pétrole voici quelques mois. Ainsi l’indice des prix à la consommation (IPC) a bondi jusqu'à 1,4% en janvier, avant de retomber à 0,7% en juin. L’IPC moyen des six derniers mois ne reflète donc plus la réalité du moment, avec une inflation qui se rapproche à nouveau de zéro. Par conséquent, l'application mécanique de cette formule aurait engendré une hausse du rendement du Livret A alors que l’inflation suit une courbe inverse. Voilà le principal argument de la Banque de France et de Bercy pour maintenir le Livret A à 0,75%.

Quel aurait été le taux avec l’ancienne formule ?

L’ancienne formule de calcul, en vigueur jusqu’en 2016, aurait elle aussi conduit à fixer la rémunération à 1% au 1er août. Plus précisément, avec cette ancienne formule, qui consistait en résumé à bonifier l’inflation annuelle de 0,25 point, le rendement du Livret A aurait même dû remonter à 1% dès le 1er février 2017, comme le montre le graphique ci-dessous. Mais le gouvernement avait balayé la question dès l’été 2016, pour éviter le sujet Livret A en pleine campagne présidentielle.

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Le Livret A est-il suffisamment rémunéré ?

Quelle est la vocation actuelle du Livret A ? « Préserver » le « pouvoir d’achat des épargnants » : des termes figurant dans la documentation de la Banque de France et régulièrement repris par les politiques à l’heure de fixer ce taux. Mi-2016, quand le gouvernement a renoncé à baisser la rémunération à 0,50%, c’était au prétexte de « maintenir un rendement satisfaisant pour les épargnants ». De ce point de vue, en cet été 2017, le maintien à 0,75% n'est pas satisfaisant car la rémunération est quasi identique à l’inflation, et cette dernière a été supérieure au taux du Livret A de janvier à mai 2017. Tout dépend donc de la future évolution de l'inflation...

Jeudi dernier, dans son communiqué, le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire pointe lui « les taux de marché » qui « restent extrêmement faibles, voire négatifs pour les maturités les plus courtes ». En effet, selon l’indicateur cBanque, les livrets ordinaires des grands réseaux bancaires rapportent en moyenne 0,16% depuis janvier dernier, avec de très nombreux livrets stationnés à 0,10%.

Le difficile équilibre pouvoir d'achat-logement social

Par ailleurs, le taux du Livret A n’a pas uniquement un impact sur le portefeuille des épargnants. Outre les banques, qui doivent assurer cette rémunération, ce taux impacte le coût de la ressource des organismes de construction de HLM. Environ 60% des 270 milliards d’euros déposés sur les Livrets A en France sont ainsi centralisés auprès de la Caisse des dépôts (CDC), laquelle alloue très majoritairement ces fonds au financement du logement social. En juillet 2015, avant la baisse à 0,75%, le directeur général de la CDC critiquait ainsi une ressource trop coûteuse pour les organismes HLM.

L’été dernier, quand le gouverneur de la Banque de France a appelé de ses vœux une nouvelle formule de calcul, il souhaitait respecter « le meilleur équilibre entre ces deux objectifs : bon financement du logement social, maintien d’une protection contre l’inflation ». Une nouvelle fois, la règle mathématique, même revue et corrigée, semble avoir échoué dans cette quête d’équilibre. Le taux du Livret A reste un sujet éminemment politique !

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