La réglementation du crédit immobilier va évoluer au 1er janvier 2018. Les banques exigeant que les emprunteurs domicilient leurs revenus devront limiter la durée d'engagement à 10 ans maximum. Censée favoriser les emprunteurs, cette mesure a tout de la « fausse bonne idée » selon Maël Bernier, porte-parole du courtier Meilleurtaux.

Pourquoi vous opposer à l'encadrement de la domiciliation ?

Maël Bernier : « Très sincèrement, quand j’ai vu les premiers articles sur cette mesure, je me suis dit : est-ce que j’ai bien lu ? Elle me semble comporter plusieurs effets pervers. »

En quoi estimez-vous que cette mesure est contreproductive ?

M.B. : « Dans les faits, aujourd’hui, comment se pratique la contrainte de domiciliation de revenus dans le cadre d’un crédit immobilier ? Tout d’abord, il existe relativement peu de clauses dans les contrats de prêt. Et lorsqu’elles existent, elles peuvent souvent être considérées comme abusives [Lire à ce propos l’article La domiciliation des revenus est-elle abusive ?, NDLR]. Donc, à ce jour, l’emprunteur n’est pas pieds et poings liés pendant plusieurs années à la banque prêteuse ! Avec cette ordonnance, à partir de 2018, il y aura certes une contrepartie à la domiciliation, un taux préférentiel, mais la contrainte de domiciliation sera inscrite dans le marbre. Pour 10 ans… C’est beaucoup trop long ! Par ailleurs, il n’y a pas d’engagement sur les frais bancaires dans ces clauses : une banque prêteuse peut augmenter ses frais quelques années après la signature d’un crédit et l’emprunteur ne pourrait rien dire… Enfin, l’ordonnance ne fixe pas de limite à cette contrepartie : la banque peut proposer un excellent taux, mais prévoir un taux bien plus élevé en cas de non respect de la domiciliation afin de décourager les emprunteurs. Cette mesure aura clairement des effets pervers, surtout pour les emprunteurs modestes, qui se retrouveront pieds et poings liés alors que les emprunteurs les plus aisés pourront négocier au mieux. »

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C’est un décret en Conseil d’Etat qui fixe la durée maximale de l’engagement à 10 ans. Espérez-vous qu’elle soit réduite à l’avenir ?
« Il n’y a pas d’engagement sur les frais bancaires dans ces clauses »

M.B. : « Ce compromis, entre banques et législateur, qui a conduit à fixer la durée maximale à 10 ans, ne me convient pas. Lorsqu’il était ministre de l’Economie, le président de la République Emmanuel Macron a porté une loi favorisant la mobilité bancaire. Et là nous découvrons un texte qui a des effets inverses. Je trouve cela paradoxal. Donc, pour que cette mesure soit favorable aux emprunteurs, il faudrait que les banques s’engagent à ce que la contrepartie ne soit pas trop importante, et surtout que la durée réglementaire soit inférieure à 10 ans… Une durée plus courte et des engagements sur les frais bancaires de la part des établissements bancaires seraient bien plus cohérents avec l’évolution du monde bancaire. Nous souhaitons que cette mesure soit adaptée et nous faisons tout avec les autres courtiers réunis au sein de l’Apic [Association professionnelle des intermédiaires en crédits, NDLR] pour que cela soit le cas. »

N'est-ce pas une clarification ? Jusqu’à présent l’engagement n’est que tacite, mais la plupart des emprunteurs rapatrient tout de même tous leurs comptes dans la banque prêteuse…

M.B. : « Oui mais, sans clause, la domiciliation fait uniquement partie de la négociation commerciale, lors de la phase précédant la signature de l’offre de prêt. Il s’agit d’un élément de négociation parmi d’autres, au même titre que l’assurance habitation par exemple. Avec cette mesure, à partir de 2018, l’engagement deviendra contractuel et il sera pris sur 10 ans ! »

Il est toujours possible de conserver un compte dédié aux échéances dans la banque prêteuse, et d'utiliser une autre comme banque principale…

M.B. : « Aujourd’hui, qui profite de la multibancarisation ? Les plus hauts revenus. Les emprunteurs modestes n’ouvriront pas forcément un second compte bancaire. »

Pour les emprunteurs, l’existence ou non d’une telle clause dans une offre de prêt deviendra-t-elle un nouveau critère de choix ?

M.B. : « Difficile à dire aujourd’hui. J’ai plutôt tendance à penser que l’ensemble des établissements vont s’aligner et intégrer une clause avec un engagement de 10 ans dans leurs contrats. Mais, bien entendu, si certaines banques ne l’intègrent pas, ce sera pour elles un avantage. Nous le signalerons à nos clients. »

Avez-vous eu des retours des banques concernant leur stratégie ?
« Une banque a annoncé un gain de 0,30 point en cas de domiciliation de revenus »

M.B. : « Sitôt l’ordonnance parue, une banque a annoncé un gain de 0,30 point en cas de domiciliation de revenus. La banque en question ne prévoyait pas ce type de contrepartie avant. »

En tant que courtier, ces clauses pourraient devenir un nouvel élément justifiant la comparaison… Pourquoi communiquer sur ce sujet ?

M.B. : « Nous avons effectivement bien plus communiqué sur le sujet que nos confrères. Mais de nombreux courtiers sont sur la même longueur d’ondes et nous laissent mener ce débat. Nous n’avons rien à gagner dans cette affaire, car nous travaillons au quotidien avec les réseaux bancaires. Il est vrai que Meilleurtaux se positionne réellement en maillon indépendant, véritable tiers de confiance entre le consommateur et les établissements de crédit. C’est en ce sens que nous souhaitons alerter l’opinion publique et les pouvoirs publics sur les risques de cette nouvelle disposition. »