Vous remboursez un prêt immobilier ? Pourrez-vous changer d’assurance emprunteur dès 2017 ? Oui, répond Isabelle Tourniaire, responsable des études du cabinet conseil en actuariat BAO, une fois que la loi Sapin 2 sera promulguée. Une mesure qui ne révolutionnera sans doute pas le marché, mais qui va donner plus de possibilités à l'emprunteur.

Ce que prévoit la loi Sapin 2

La loi Sapin 2 a été adoptée définitivement par l’Assemblée nationale le 8 novembre. Sauf censure du Conseil constitutionnel sur ce point, elle étend la possibilité de substitution d’une assurance de prêt immobilier par une autre au-delà de la première année du crédit.

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Cette mesure concernera-t-elle tout le monde, ou uniquement les nouveaux emprunteurs ?

Isabelle Tourniaire : « Selon notre interprétation de la loi Sapin 2, il n’y a aucun doute : l’application de cette mesure concernera tous les contrats d’assurance de prêt, sans limitation liée à la date de souscription, mais pour les résiliations-substitutions futures. Nous l’argumentons de deux façons. D’une part car elle est d’ordre public : la loi prend soin de préciser que ''toute clause contraire est réputée non écrite'', ce qui rend caduque toute mention contraire, notamment écrite par le passé. D’autre part, car la loi Sapin 2 rend effectif le droit de substitution, qui s’applique en cas de résiliation prévue par le code des assurances (à tout moment pendant la première année et annuellement ensuite). Si ce droit de substitution n’existait pas pour tous les contrats, il y aurait un vide juridique pour les anciens contrats, résiliables mais dont les modalités de substitution n'ont pas été fixées. Dernier argument : quand la loi Hamon a instauré la résiliation à tout moment pour l’assurance habitation ou automobile au-delà de la première année du contrat, cette mesure s’est appliquée à tous les contrats ayant atteint leur première année d'ancienneté, et non pas uniquement aux nouveaux contrats. »

La résiliation annuelle « concernera tous les contrats d’assurance de prêt »
Pourtant, Michel Sapin a laissé entendre le contraire, à l’Assemblée nationale…

I.T. : « Oui, lors de la séance de questions au gouvernement préalable à la lecture définitive de la loi à l'Assemblée nationale, il a repris les arguments de la Fédération bancaire française (FBF). Mais c’est l'adoption du texte définitif et la parole du législateur qui prévaut : or le rapporteur de la commission des finances du texte a été très clair, puisqu’il a affirmé que la faculté de résiliation annuelle concernait le stock de contrats. »

Il ne faut donc pas s’attendre à voir cette mesure limitée par décret ?

I.T. : « Sur ce point, aucun décret d’application n’est nécessaire. Le texte de loi ne mentionne pas de décret. De mon point de vue, il n’y a aucune ambiguïté. »

Quand les emprunteurs pourront-ils changer d’assurance de prêt ?

I.T. : « La loi Sapin 2 ne précise aucune date. Donc a priori dès le lendemain de la promulgation de la loi ! Probablement avant la fin décembre 2016. Ensuite, il s’agit d’un droit de résiliation annuelle, donc à l’échéance pour résilier. Quelle date sera prise en compte ? En général, le contrat doit prévoir une date d'échéance. Si le contrat ne mentionne pas d’échéance annuelle, c’est souvent la date anniversaire du contrat qui est utilisée. »

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Un rééquilibrage du rapport de force entre banque et emprunteur

I.T. : « Chez BAO, nous avons toujours pensé que les lois touchant à l’assurance emprunteur ne déchaînent pas les foules… Il n’y aura probablement pas de phénomène de masse ! Cette possibilité de changer d’assurance a tout de même un aspect vertueux : avant, les banques pouvaient user de mesures dilatoires au moment de l’offre de prêt, de façon à faire traîner la signature, pour que l’emprunteur se résigne à prendre leur assurance. Ensuite, ce délai de un an a été instauré. Maintenant, avec la loi Hamon et de façon plus étendue avec la loi Sapin 2, l’emprunteur sait qu’il peut changer d’assurance plus tard. Ceci rééquilibre les rapports de force entre l'emprunteur et le prêteur, notamment avant l'octroi du prêt mais aussi en cas d'objection sur la substitution pendant la première année du crédit. »

En 2015, 12% des nouveaux contrats étaient des assurances alternatives. Quel impact aura la loi Sapin 2 ?

I.T. : « La faculté de substitution, pendant un an, suite à la loi Hamon en 2014, n’a pas révolutionné le marché. Au contraire : la part de contrats alternatifs a régressé. En 2010, la loi Lagarde avait déjà eu le même effet. Au milieu des années 2000, la part de contrats alternatifs, proposés par des assureurs non liés à un groupe bancaire, étaient de 20%. Les lois successives ont donc surtout provoqué de la crispation et ont eu un effet contraire à celui escompté. Il n’y a donc pas de véritable révolution à attendre avec la loi Sapin 2, mais un meilleur respect du choix des emprunteurs, à tout moment, puisque toute contrainte pourra être remise en cause plus tard. »

Les banques mettent-elles des bâtons dans les roues des emprunteurs qui veulent changer d’assurance, moins d’un an après la signature de leur crédit ?
« Les banques vont sans doute abaisser leurs tarifs »

I.T. : « Lors de la première année de crédit, plus d’une demande de substitution sur quatre fait l’objet d’objections de la part de la banque ! Pourtant, très sincèrement, satisfaire aux obligations d’équivalence ne pose pas de grande difficulté à un assureur traditionnel ! La couverture des contrats des assureurs est plus complète que celle des contrats bancaires, que ce soit ou non par le biais d’options. Les banques usent encore de mesures dilatoires en prétendant parfois à tort que le contrat alternatif n’est pas bon, en exigeant que l'emprunteur se rende en agence, etc. Avec une capacité effective de résiliation-substitution annuelle, au moins, l’emprunteur ne sera plus limité dans le temps pour changer d’assurance et tous ces stratagèmes seront moins efficaces et donc moins déployés. »

La loi Sapin 2 va-t-elle renforcer la concurrence, au bénéfice de l’emprunteur ?

I.T. : « Elle pourrait assainir la concurrence, oui. Les banques vont sans doute abaisser leurs tarifs pour proposer des contrats plus compétitifs, et développer leur panel de garanties. »

La Fédération bancaire française (FBF) pointe un risque de « démutualisation » de l’assurance emprunteur

I.T. : « Pour parler de démutualisation, il faudrait déjà que la mutualisation des risques existe ! Aujourd’hui, tous les contrats bancaires sont segmentés, avec un tarif différent selon les tranches d’âge, la durée des prêts, leur objet. Le tarif unique n’existe plus depuis les années 2000. Les banques évoquent un problème de marge ? Elles enregistrent une marge sur tous les segments, de 70% sur ceux des jeunes emprunteurs, de 20% sur ceux des plus âgés. Pour 50% de marge en moyenne ! Dans une telle situation, un marché ouvert à la concurrence ne peut que faire baisser les prix, à certains endroits plus qu'à d'autres, mais ne peut les relever nulle part. »

« Le tarif unique n’existe plus depuis les années 2000 »
Quid des emprunteurs à la santé potentiellement plus fragile ?

I.T. : « Sur les risques aggravés de santé, il suffit de regarder les statistiques relatives à la convention Aeras (1). En les analysant, on comprend que les emprunteurs présentant des risques aggravés se dirigent plutôt vers les assureurs alternatifs, car leurs process et l'attention portée à chaque cas permet de trouver des solutions plus adaptées. Si les banques parlent de démutualisation pour ce public, c’est de l’instrumentalisation. Pour ces personnes, être en capacité de changer d'assurance est encore plus important que pour d'autres. Elles pourront ainsi régulièrement chercher à bénéficier du recul pris sur leur problème de santé, et, dès que le moment est venu, bénéficier de leur droit à l'oubli, qui leur permet de souscrire une nouvelle assurance sans déclarer leur problème de santé, pour les pathologies concernées. »

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(1) « S’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé ».