Ceux qui ont fraudé le fisc peuvent légitimement subir une double sanction, pénale et fiscale, à condition que ces deux procédures tiennent compte l'une de l'autre, estime mardi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), dans un arrêt appelé à faire jurisprudence.

Les juges européens donnent tort à deux Norvégiens qui estimaient que ce cumul de peines avait violé le principe selon lequel nul ne peut « être jugé ou puni deux fois » pour les mêmes faits. Dans l'affaire en question, les requérants avaient été condamnés à un an de prison au pénal pour « fraude fiscale aggravée », et à une majoration d'impôts de 30%, pour avoir omis de déclarer environ 360.000 euros de revenus pour l'un, et 500.000 euros pour l'autre, dans le cadre de la cession d'une société immatriculée à Gibraltar.

A la quasi-unanimité (16 voix contre une), les 17 juges de l'instance suprême de la CEDH estiment que cette double procédure n'avait pas violé les droits fondamentaux des requérants. Ils valident le raisonnement des autorités norvégiennes, selon lequel « le comportement répréhensible (des requérants) appelait deux réponses : une sanction administrative et une sanction pénale, chacune ayant une finalité différente ».

La première a une fonction incitative et vise à « renforcer les fondations du système fiscal national », tandis que la seconde « poursuit des fins non seulement dissuasives, mais aussi répressives, s'agissant de la même omission préjudiciable pour la société ».

Une « remise à plat de la jurisprudence »

Au final, les autorités norvégiennes apportent à ce dossier de fraude fiscale une « réponse juridique intégrée », estiment les magistrats européens, qui soulignent « la proportionnalité de la peine globale ». « La sanction pénale a tenu compte de la majoration d'impôt », fait encore valoir la CEDH, relevant un « lien matériel et temporel » entre les deux procédures.

Pour le juriste Nicolas Hervieu, spécialiste de la CEDH, cette décision est une « remise à plat de la jurisprudence » de la Cour concernant l'interdiction des doubles sanctions en cas de fraude fiscale. Bien qu'ils ne soient pas directement concernés par ce dossier norvégien, plusieurs Etats européens, dont la France, ont tenu à intervenir dans cette procédure pour défendre la pertinence du mécanisme de double répression - fiscale et pénale - qu'ils appliquent eux-mêmes, observe Nicolas Hervieu.

Un écho aux affaires Wildenstein et Cahuzac

Cette dernière décision européenne va dans le sens de l'accusation dans de récents retentissants scandales fiscaux en France, comme l'affaire du marchand d'art Guy Wildenstein ou celle de Jérôme Cahuzac. L'ancien ministre français du Budget, jugé en septembre pour fraude fiscale et blanchiment, avait en vain tenté de faire tomber les poursuites pénales pour fraude au motif qu'il avait déjà été condamné au plan fiscal, avec son épouse, à un redressement majoré d'environ 2,5 millions d'euros. Le parquet a requis à son encontre trois ans de prison ferme. Le jugement est attendu le 8 décembre.