Deux ans après son entrée en vigueur, le cadre réglementaire du crowdfunding a fortement évolué : doublement des plafonds pour le prêt et l’investissement participatifs, lancement des minibons, etc. Nicolas Lesur, président de l’association Financement participatif France (1), estime toutefois qu’il faudra des incitations fiscales pour que l’épargne participative séduise réellement le grand public.

Dans votre communiqué, vous évoquez une « deuxième réforme du financement participatif ». Les évolutions sont-elles comparables à celles d’octobre 2014 ?

Nicolas Lesur : « Au niveau de l’engouement médiatique, évidemment, il y a une différence entre la création d’un nouveau cadre réglementaire et une amélioration. De ce point de vue, ce n’est donc pas comparable. Mais il ne faut pas minimiser les avancées de ce décret. Au niveau du crowdequity, en particulier, le passage du seuil de 1 million à 2,5 millions d’euros pour les levées de fonds amorce une nouvelle impulsion ! 2,5 millions d’euros, c’est aussi le minimum pour une entrée sur le marché Alternext. Avec ce seuil, une start-up qui souhaite lever 5 millions d’euros peut en obtenir la moitié auprès de la place financière, et la moitié via le financement participatif. Cela peut donc intéresser des sociétés avec un certain potentiel ! »

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Et pour le prêt participatif…
« On a réussi à bâtir une certaine crédibilité »

N.L. : « Le passage de 1.000 à 2.000 euros par prêteur et par projet, c’est une belle avancée mais ce n’est effectivement pas une révolution. En revanche, il faut se rappeler d’où l’on vient : il y a 3 ans, lors des discussions préalables à la création de ce cadre réglementaire, on évoquait un seuil de 250 euros. Aujourd’hui, c’est huit fois plus ! Cela montre donc que l’on a réussi à bâtir une certaine crédibilité pour ce nouveau secteur. »

Le décret ne touche que le financement en fonds propres, ou equity, et le prêt. Pourquoi pas le don ?

N.L. : « Le financement participatif sous forme de don est déjà correctement encadré et exercé. L’immatriculation des plateformes en tant qu’intermédiaire en financement participatif est d’ailleurs facultative. »

La création des minibons permet notamment à des entreprises de prêter à d'autres entreprises. Ce qui renforce l’aspect financier du crowdfunding…

N.L. : « Oui, tout à fait. Les minibons permettent la souscription d’entreprises, de fonds d’investissement, etc. Pour les plateformes de crowdlending, c’est la variété dans la typologie de prêteurs qui permettra d’assurer la pérennité du secteur, avec un mix de particuliers, de fonds, d’entreprises, etc. Ainsi, si une typologie de prêteurs se retire, ce n’est pas la catastrophe ! L’important est en revanche de bien les faire coexister. »

Avec le lancement des minibons, qui réclament un statut CIP, faut-il s’attendre à voir le paysage des plateformes évoluer ?
« Plusieurs modèles vont coexister »

N.L. : « Honnêtement, je ne sais pas. Notre plateforme, Unilend, a obtenu ce statut. Lendosphère aussi et prévoit de n’exercer à l’avenir qu’en tant que CIP (2). En revanche, je ne crois pas que Lendix ait la volonté de devenir CIP. Plusieurs modèles vont coexister : des plateformes uniquement IFP (3) fonctionnant avec les contrats de prêt, des plateformes n’utilisant que les minibons, et d’autres les deux. Car il faut comprendre que les minibons imposent des contraintes supplémentaires : les entreprises emprunteuses doivent pouvoir afficher trois bilans financiers, et la durée de l’emprunt est limitée à 5 ans. »

En 2015, un million de Français ont versé de l’argent pour la première fois sur une plateforme de crowdfunding. Mais combien sur les sites de prêt aux PME ou d’investissement en fonds propres ?
« Nous sommes encore loin du million d’épargnants participatifs »

N.L. : « Très clairement, la majorité de ce million de personnes est passé par une plateforme de don. Sur l’equity, Wiseed et Anaxago ne disposent que de quelques dizaines de milliers d’investisseurs actifs. Pour les plateformes de prêt aux PME, les prêteurs actifs se comptent aussi en dizaines de milliers. Je ne compte pas les investisseurs sur les plateformes de crédit à la consommation, reconnus comme ''avertis'', qui constituent un cas particulier. Donc, en effet, nous sommes encore loin du million d’épargnants participatifs. Mais nous y arriverons un jour ! »

Comment y parvenir ?

N.L. : « Si l’on veut que l’épargne participative devienne réellement massive, en touchant par exemple les 17% de Français ayant déjà investi sur les valeurs mobilières, il faut créer un cadre fiscal cohérent avec les risques pris par les épargnants. Ce n’est pas logique qu’en prêtant à une entreprise, sans garantie en capital, la fiscalité soit la même que pour les livrets bancaires classiques ! Alors que les politiques encouragent justement l’orientation de l’épargne vers les PME. Il faudrait un abattement annuel sur l’impôt sur le revenu, comme pour l’assurance-vie. »

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Seul un avantage fiscal peut créer un engouement ?
« Il faudrait un abattement annuel, comme pour l’assurance-vie »

N.L. : « Même si cela peut paraître paradoxal par rapport à l’esprit du crowdfunding, il faudrait aussi permettre de créer des véhicules d’investissement, comme des Sicav, qui investissent eux-mêmes dans les prêts aux PME. Et sans réserver ce type de fonds aux investisseurs avertis. »

A l’image des fonds de Younited Credit, aujourd’hui réservés aux investisseurs avertis…

N.L. : « Je pense qu’il faut réfléchir aux moyens de rendre le prêt participatif accessible à tous, de façon encadrée, bien évidemment. Par exemple en permettant de souscrire ce type de fonds, investis dans les prêts participatifs, via les unités de compte de l’assurance-vie. Car les épargnants apprécient notre traçabilité : ils peuvent privilégier un fonds qui prête aux PME plutôt qu’un fonds investi à l’étranger. »

Concernant le crowdlending, l’affaire Lending Club ou, à l’échelle française, les nombreux défauts de paiement de Finsquare ne risquent-ils pas de freiner la dynamique naissante ?
« Des défauts, il y en a et il y en aura toujours »

N.L. : « Oui et non. L’affaire Lending Club, je pense qu’il faut surtout en tirer des leçons ! Plutôt que de la relativiser en disant que cela se passe aux Etats-Unis. Je pense que cette affaire appelle à réfléchir à la gouvernance de nos plateformes, de façon à éviter une dérive financière en mélangeant les métiers. Quant aux défauts de paiement, en France, sur les plateformes de crowdlending, il faut tout simplement comprendre que le secteur mûrit. Des défauts, il y en a et il y en aura toujours. On prête à un taux élevé, on enregistre des défauts, mais en diversifiant on perçoit un rendement, évidemment moins élevé que le taux initial. Il faut assumer ce fonctionnement pour que le public soit serein en investissant. »

Suite à l’entrée en vigueur du cadre réglementaire en octobre 2014, le nombre de plateformes s’est multiplié. Avant de ralentir. Combien en restera-t-il à terme ?

N.L. : « Moins d’une dizaine par famille de financement participatif : le don, l’investissement en fonds propres et le prêt. Sur le don, ils sont déjà deux acteurs dominants : Ulule et KissKissBankBank. Je pense que ce sera la même chose sur le prêt aux entreprises et l’equity, avec deux ou trois gros acteurs et peut-être quelques petites plateformes, positionnées sur des niches, à côté. »

Voir aussi le dossier sur la réforme du crowdfunding en 2014

(1) Association regroupant la plupart des plateformes de crowdfunding en activité. Nicolas Lesur est par ailleurs le fondateur d’Unilend. (2) Conseiller en investissements participatifs. (3) Intermédiaire en financement participatif.