Un témoin cité par la défense de Jérôme Kerviel devant la Cour d'appel de Versailles a affirmé jeudi que la Société Générale ne pouvait ignorer les agissements de son trader et l'avait donc « laissé faire ».

La Cour doit déterminer si l'ex-trader, condamné pour abus de confiance, doit payer les 4,9 milliards d'euros exigés par la banque, soit l'intégralité des pertes imputées à Jérôme Kerviel. La Cour de cassation a en effet confirmé en 2014 sa condamnation à cinq ans de prison, dont trois ferme, mais cassé les dommages et intérêts réclamés par la Société Générale, estimant que ses mécanismes de contrôle avaient failli.

Un suivi quotidien

« La thèse selon laquelle la Société générale n'a pas vu les opérations de Jérôme Kerviel est un défi au bon sens », a asséné Jacques Werren, ancien dirigeant du marché à terme Matif, au second des trois jours d'audience. « Le marché à terme » sur lequel opérait l'ex-trader « faisait l'objet d'un suivi quotidien », a-t-il assuré à la barre. Et pour ce spécialiste des places boursières, il n'est « pas possible de dissimuler » ou de « cacher des positions » sur ce type de marché. La banque l'a donc « laissé faire », selon lui. Ce que réfute la Société générale, qui assure que Jérôme Kerviel a pris massivement des positions fictives frauduleuses sans en référer à sa hiérarchie.

Cité lui aussi par la défense, un ex-employé de la SocGen, chargé du contrôle des activités de trading à l'époque des faits, a affirmé qu'« aucune des opérations fictives » passées par le trader « n'a pu atteindre la comptabilité » de la société et que les pertes revendiquées par la banque après l'affaire Kerviel ne représentaient pas la réalité.

Une demande d'expertise financière

En fin d'audience, Jérôme Kerviel est revenu à la charge : « Depuis l'origine, je ne cesse de réclamer une expertise financière, ça m'a été systématiquement refusé. Je sollicite à nouveau une expertise pour qu'on ait le cœur net » sur les pertes de la SocGen dans cette affaire. Plus tôt dans la journée, la défense de l'ex-trader avait produit un enregistrement audio qui, selon elle, montrait que le dossier judiciaire avait été « manipulé » par la banque.

Dans cet enregistrement clandestin, on entend une conversation privée entre l'ancienne vice-procureure de la République de Paris Chantal Colombet-De Leiris et une ex-policière de la Brigade financière, Nathalie Le Roy, chargée d'enquêter sur l'affaire. Dans des extraits sélectionnés par la défense et diffusés à l'audience après l'avoir été dans la presse en janvier, la magistrate aujourd'hui retraitée pointe des dysfonctionnements. « Vous étiez entièrement manipulée par la Société Générale », dit-elle à son interlocutrice qui lui réplique : « On ne savait pas où aller. On a été dirigé en fait ».

Ordonnance de renvoi rédigé par un avocat de la SocGen ?

Et la magistrate d'affirmer que ce n'est pas un magistrat qui a rédigé l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris, « c'est un des avocats (de la Société Générale) qui lui a communiqué ». A l'issue de l'écoute de l'enregistrement, un avocat mandaté par Mme Colombet-De Leiris a demandé à la Cour de juger la diffusion de l'enregistrement illégale. En vain.