« La prise de risque fait son chemin », écrit le Cercle de l’épargne dans sa lettre mensuelle, en s’appuyant sur les résultats du sondage que le think tank a publié à la fin mai. Pourtant, les statistiques disent le contraire, année après année. L’analyse de Didier Davydoff, directeur de l’Observatoire de l’épargne européenne (OEE) et ex-économiste à la Banque de France.

Un récent sondage du Cercle de l’épargne (1) souligne que les Français se montrent aujourd’hui moins fermés à la prise de risque. Sans que cela ne se traduise dans les faits…

Didier Davydoff : « Les sondages sont parfois orientés. Plus généralement, on a coutume de présenter les épargnants français comme averses au risque. Mais cela reste difficile à juger : nous avons tendance à faire porter la responsabilité aux épargnants alors que leurs conseillers, qu’il s’agisse d’un expert indépendant ou d’un charge de clientèle en banque, ne savent pas toujours leur expliquer précisément le niveau de risque d’un produit. »

Dans les statistiques, les mouvements des Français évoluent très peu ces dernières années. Depuis 2013, les produits qui drainent le plus d’argent sont l’assurance-vie, le Plan épargne logement et le compte courant…

D.D. : « En effet, il faut reconnaître la forte inertie de l’épargne des Français. Mais au dernier trimestre de l’année 2015, les actions cotées ont tout de même enregistré une collecte nette de près de 5 milliards d’euros [étude « épargne des ménages » de la Banque de France, NDLR]. Les mouvements sur les actions dépendent de l’environnement boursier, même si les Français gèrent peu leurs actifs au jour le jour. Or début décembre 2015, la Bourse était encore au-dessus de son niveau un an plus tôt. Fin 2015, sur les actions cotées, la dynamique était donc plutôt positive. En revanche, elle restait défavorable sur les Sicav et autres organismes de placement collectif (OPC) non monétaires [4,3 milliards d’euros de décollecte, NDLR]. »

Dans l’étude du Cercle de l’épargne, la moitié de la population juge « normal » que les placements financiers évoluent vers plus de risque pour obtenir un meilleur rendement… Une prise de conscience ?

D.D. : « En effet. Mais une deuxième question se pose : en réalité, les Français ont-ils une épargne suffisante pour investir sur des produits risqués ? Ceux qui en ont les moyens commencent à prendre plus de risques : en témoigne la collecte en unités de compte (UC) sur l’assurance-vie. Les UC représentent désormais un cinquième de la collecte brute [selon la FFSA, la proportion monte même à près de 25% sur 2015, contre 16% des cotisations en 2014 ou 12% en 2012, NDLR]. Ce n’est pas anodin. »

Quels placements à risque peuvent attirer le grand public ?

D.D. : « Très clairement : les unités de compte de l’assurance-vie. La fiscalité oriente fortement les Français pour le choix de leurs produits d’épargne. C’est donc par l’assurance-vie, fiscalement intéressante à moyen terme, qu’ils peuvent investir sur des OPC. Cependant, il faut aussi se rendre compte que ce type d’investissement dépend du cycle de vie des gens : ils vont investir sur des placements à risque, à long terme, lorsqu’ils perçoivent un héritage, lorsqu’ils finissent de rembourser leur crédit immobilier, etc. Et leurs arbitrages dépendent aussi des politiques commerciales des intermédiaires. Si la collecte des UC a progressé en 2015, c’est aussi parce que ces intermédiaires en ont fait une priorité. »

Le patrimoine financier global des Français continue d’augmenter. Et ils ont de plus en plus d’argent sur leurs comptes courants. Pourquoi ne l’orientent-ils pas plus massivement vers des produits risqués ?

D.D. : « Concernant l’argent dormant sur les comptes chèques, ce ne sont pas des sommes destinées à l’épargne de moyen ou long terme. On peut en effet établir un lien direct entre les décollectes sur le Livret A et les autres livrets d’épargne réglementée, d’une part, et la hausse des flux sur les comptes chèques, d’autre part. Le taux du Livret A attire peu donc l’argent reste sur le compte bancaire. Dans ce cas précis, on peut parler de vases communicants. »

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Les intermédiaires ont-ils une part de responsabilité dans le faible attrait des Français pour les actions ou fonds d’investissement ?

D.D. : « Au sein de l’OEE, les banques et autres distributeurs évoquent régulièrement les freins réglementaires à la commercialisation de ces produits. Sans remettre en cause l’utilité de la réglementation, les distributeurs craignant de voir leur responsabilité engagée peuvent être dissuadés de proposer des produits performants si les réponses aux questionnaires MIF [du nom de la directive européenne sur les marchés d'instruments financiers (MIF), NDLR] révèlent que le client n’est pas imbattable sur le fonctionnement des marchés financiers, ou qu’il n’est pas totalement indifférent au risque de ne pas récupérer tout son investissement sans moins-value ! En voulant surprotéger le client, on perd peut-être un peu de souplesse dans la gestion de son épargne. »

Quelles solutions voyez-vous pour casser ce paradoxe entre acceptation, relative, du risque et difficulté dans le passage à l’acte ?

D.D. : « Je vois deux solutions potentielles. La première fait consensus : favoriser l’éducation financière des Français. Il s’agit de donner des clés pour comprendre la finance, et donc les investissements risqués. La deuxième solution correspond à un axe de travail en cours au sein de l’OEE, pour la Commission européenne : favoriser un conseil adapté au cycle de vie de chacun. En anglais, on parle de financial guidance. L’objectif est de trouver un interlocuteur de confiance pour aider les épargnants au fil de leur vie. »

Qui peut être cet interlocuteur ? Car le client peut se méfier des recommandations de son conseiller bancaire ou de son conseiller en gestion de patrimoine…

D.D. : « Il faut en effet éviter la suspicion. La Société Générale propose par exemple une heure de bilan global à ses clients, axée sur la stratégie plus que sur la vente produit. Cette démarche peut être vertueuse. Une autre solution serait de créer, comme en Angleterre, un Money Advice Service (centre de conseil financier) indépendant, à but non lucratif mais il faudrait alors s’assurer de la réelle compétence du personnel d’une telle instance. »

Le gouvernement expérimente les Points conseil budget (PCB), qui visent en premier lieu à éviter le surendettement. Vous souhaiteriez que ce un service s’étende à l’épargne ?

D.D. : « Exactement ! Aujourd’hui, les plus aisés ont accès à un conseil très personnalisé dans les banques privées. Les foyers surendettés sont eux dirigés vers les commissions de surendettement. Mais les classes moyennes qui ne rencontrent pas de difficultés financières aiguës ont du mal à trouver un interlocuteur en qui elles ont confiance. En Allemagne, des associations proposent un service indépendant de conseil financier, facturé environ 100 ou 200 euros. Cela fonctionne bien : les particuliers sont prêts à payer pour ce service à condition qu’ils sentent que le conseil est compétent et qu’il n’est pas biaisé ou orienté. »

(1) Sondage réalisé sur internet par l’Ifop et le Centre d’études et de connaissances sur l’opinion publique (Cecop), à la demande du Cercle de l’Epargne, du 19 au 22 avril 2016, auprès d’un échantillon de 1.003 personnes majeures, sélectionnées selon la méthode des quotas.