Crédit Agricole, Caisse d’Epargne, Crédit Mutuel et Banque Populaire : ces quatre grands réseaux bancaires sont des banques mutualistes. Autrement dit, un particulier peut détenir une partie du « capital social » de sa banque ou caisse locale en achetant des parts sociales. Il devient alors sociétaire. En agence, les conseillers proposent parfois ces parts avec insistance à leurs clients. Peuvent-ils refuser ? A quoi peut servir la détention de parts sociales ?

Exemples vécus. Un couple d’emprunteur finit de ficeler son dossier de crédit immobilier, moment choisi par le chargé de clientèle pour proposer les parts sociales de la caisse locale. Le tout en laissant entendre qu’il s’agit du processus habituel. Sous-entendu : ce n’est pas négociable. Autre cas : une femme relativement âgée fait face au zèle de sa conseillère clientèle, qui lui propose des parts sociales avec beaucoup d’insistance. Elle finit par en souscrire, sur la base d’un simple accord oral ! Suite à une réclamation écrite, cette cliente a toutefois rapidement été remboursée.

Ces deux exemples, rapportés à cBanque, ne peuvent être considérés comme représentatifs. Il n’empêche, le gouvernement s’est penché sur le sujet dans le cadre du projet de loi Sapin II. S’il est voté en l’état, « toutes les informations, y compris les communications à caractère publicitaire, relatives à des parts sociales » devront présenter « un contenu exact, clair et non trompeur ». Et si les parts sociales ne concernent pas que le monde bancaire, les « banques mutualistes et coopératives » sont citées quelques lignes plus loin, en précisant que la vente de parts sociales doit faire l’objet d’une mise en garde. Non cotées en bourse, les parts sociales de banques mutualistes présentent en effet un risque de perte en capital (1). Et la revente s’avère parfois contraignante, avec des délais pouvant se compter en semaines, le temps de trouver un acheteur. Un délai de 5 ans est même parfois indiqué dans le bulletin de souscription.

« Les banques ont le choix de leurs clients »

Un chargé de clientèle peut-il vous pousser à acheter un produit présentant un risque de perte en capital ? Notamment en en faisant une condition à l’octroi d’un prêt immobilier ? « Non », coupe l’avocate Hélène Feron-Poloni, qui s’est spécialisée dans la défense des épargnants et emprunteurs : « Toutefois, les banques ont le choix de leurs clients ! » Dit autrement, une banque peut choisir de ne pas nouer de relation commerciale avec un particulier qui refuse ses parts sociales. Mais elle n’a pas le droit de le contraindre à en souscrire. La nuance est subtile.

Pourtant, interrogés sur le fait que le crédit immobilier puisse être réservé aux sociétaires, les réseaux mutualistes réfutent en bloc : « aucun lien entre parts sociales et prêt immobilier », nous ont ainsi assuré plusieurs d'entre eux.

« Deux moments privilégiés » pour en proposer

Si elles ne font pas de « forcing », comment les banques mutualistes incitent-elles leurs clients à devenir sociétaire ? Elles répondent quasiment toutes qu’elles abordent le sujet dès le premier rendez-vous, et ce de façon systématique dans de nombreux réseaux. Le discours se veut alors axé sur le principe du mutualisme et du sociétariat : « Nous abordons le sujet dès l’entrée en relation », explique Michel Roux, directeur général de la Fédération nationale des Banques Populaires, réseau aux 4 millions de sociétaires, pour 9 millions de clients. « Nous sommes attachés à ce modèle d’entreprise, basé sur la solidarité, le territoire et les valeurs. Nous expliquons aux clients qu’ils détiennent une partie du capital social, qu’ils ont un droit de vote, un accès aux réunions de sociétaires, etc. Autant de choses qui n’existent pas dans une enseigne bancaire nationale non mutualiste. »

« Il y a deux moments privilégiés pour proposer des parts sociales aux particuliers », complète Corinne Chastre, la responsable épargne du réseau Caisse d’Epargne : « lors de l’entrée en relation, pour l’ouverture d’un compte courant, où l’on explique la notion de sociétariat, et au moment de la souscription d’un crédit immobilier, car il s’agit d’un engagement important pour le client et la banque en termes de fonds propres ». Les sommes investies restent limitées : « Tout dépend de la capacité d’épargne. Nous conseillons à nos clients de ne pas dépasser 10 à 15% de leur épargne, et de conserver les parts sociales pendant au moins 5-7 ans. » Variable selon les enseignes, le montant de souscription demandé peut toutefois se limiter à quelques dizaines d’euros.

Un droit de vote, et quelques avantages

Outre l’aspect participation à la vie de la banque, quels avantages apportent le fait de devenir sociétaire ? « La gamme d’offres et de services auprès de nos sociétaires s’est largement enrichie : livret, carte sociétaire (une carte bancaire usuelle qui lui permet d’abonder un fonds mutualiste géré par la Caisse régionale), etc. », répond le service communication du Crédit Agricole, qui revendique 9 millions de sociétaires, pour environ 21 millions de clients particuliers. Ils bénéficient en outre d’« avantages extra-bancaires » comme « des entrées à tarifs réduits dans certains monuments ». Les réseaux du groupe Banque Populaire-Caisse d’Epargne (BPCE) n’ont eux pas généralisé ce type d’avantages : « Certaines caisses proposent une gamme de livrets sociétaires mais, au niveau national, il n’y a pas d’offre dédiée », affirme Corinne Chastre, de la Caisse d’Epargne. « Nous sommes plus dans la recherche d’un engagement moral. »

Et l’avantage financier ? Les intérêts, plafonnés et fiscalisés (lire l’encadré plus bas), n’ont pas dépassé 1,89% brut en 2015, au titre de l’année 2014. « En souscrivant des parts sociales, on n’achète pas la rémunération, même si elle reste bien meilleure que celle du Livret A », plaide Corinne Chastre. Si la détention de parts sociales n’engendre pas de frais, le support d’investissement (compte dédié, compte-titres ou PEA) peut lui induire certains coûts.

Comment réagir face à un banquier insistant ?

Retour à la proposition du conseiller particulier, en agence : on vous propose des parts sociales avec insistance ? Première chose à savoir : vous n’êtes donc aucunement « obligé » de souscrire. Mais rien n’interdit la banque de réserver un taux de crédit préférentiel à ses sociétaires. A savoir, toutefois, si l’octroi d’un prêt est conditionné à la souscription de parts sociales, alors leur coût d'acquisition doit être intégré dans le taux effectif global (TEG), selon la jurisprudence.

Malgré ses spécificités, ce produit financier ne présente pas que des inconvénients : faible ticket d’entrée, rémunération relativement stable, faible risque de moins-value. Bref, les parts sociales ne sont actuellement ni le pire, ni le meilleur des placements.

Une rémunération plafonnée. La rémunération annuelle maximale des parts sociales est plafonnée au taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées (TMO). Or, ce TMO était de 0,96% au premier semestre 2015, et 1,19% au second. Si le projet de loi Sapin II est adopté en l’état, le plafond du taux de rémunération des parts sociales sera calculé sur la base du TMO des trois dernières années, augmenté de 2 points. Autrement dit, dans le contexte actuel de taux bas, la rémunération des parts sociales pourrait redevenir avantageuse.

(1) En cas de réduction du capital social votée en assemblée générale ou en cas de faillite de la banque.