En présentant jeudi 24 mars une étude réalisée auprès des clients des Caisses d'Epargne, Cédric Mignon, directeur du développement du réseau bancaire, a souligné un « changement radical » dans leur comportement d'épargne depuis 2008 et qui s'accentue depuis 2 ans. Un phénomène qui touche l'ensemble des banques françaises mais dont une grande partie des clients ont peu conscience.

« Le produit d'épargne qui progresse le plus depuis deux ans, ce sont les dépôts à vue [compte courant essentiellement, ndlr] » lance Cédric Mignon, directeur du développement des Caisses d'Epargne, lors de la présentation d'une étude réalisée par Audirep auprès des clients du réseau bancaire (1). « Un phénomène qui n'est pas propre aux Caisses d'Epargne et qui touche l'ensemble des établissements bancaires français ».

Effectivement, selon les chiffres de la Banque de France, les encours des dépôts à vue des ménages français ont progressé de 30 milliards d'euros entre la fin décembre 2014 et la fin décembre 2015. Un an plus tôt, sur la même période, cet encours avait augmenté de seulement 16 milliards d'euros. Et l'année 2016 devrait être aussi une année record en terme de collecte, en égalant les niveaux atteints en 2015.

En arrière-plan, c'est un autre phénomène qui se dessine : la baisse de l'excédent d'épargne. C'est-à-dire le bas de laine des Français. Selon les données relevées par les Caisses d'Epargne, avant 2011, cet excédent avoisinait en moyenne les 55 milliards d'euros. Depuis, il s'affiche en moyenne à 15 milliards d'euros. Cédric Mignon constate : « Si l'épargne reprend en France, sans atteindre les niveaux d'avant la crise, on a en revanche une différence dans la structure de l'épargne. Elle est portée essentiellement par un produit : les dépôts à vue. »

Des épargnants démotivés mais impliqués

L'étude révélée par les Caisses d'Epargne éclaire très bien les motivations des clients. « Les principales raisons évoquées (...) sont de deux ordres : une prédisposition à la prévoyance dans un contexte économique incertain qui les pousse à rechercher une liquidité absolue de leur épargne et la baisse des taux des livrets d’épargne qui n’incite pas à optimiser son épargne », peut-on lire dans le résumé. Traduction en chiffres : 43% des personnes interrogées optent pour le dépôt à vue parce que l'argent peut être retiré à tout moment sans formalités. Et 38% estiment qu'aujourd'hui cela ne vaut pas le coup de placer son argent sur des placements qui rapportent peu.

D'ailleurs, 29% disent manquer de temps et ne pas avoir envie de chercher un placement rémunéré quand 28% estiment les sommes en jeu trop faibles. Ce qui fait dire à Didier Caylou, directeur du département Banque Finance Assurance de l'institut de sondage Audirep : « Il y a une démotivation chez les épargnants à rechercher un placement rémunéré. Il y a une déculpabilisation à laisser dormir son argent sur son compte courant ». Et pour cause : selon l'étude, le taux de rendement minimum incitatif pour une épargne rémunérée se situerait à 3,5%... Pour autant, « 71% des personnes interrogées se déclarent impliquées dans la gestion de leur épargne et des placements. Ce n'est donc pas une démotivation globale. Pour le moment, le dépôt à vue est une solution acceptable », développe l'institut Audirep.

Une sous-estimation de l'usage du dépôt à vue

Deux règles guident les clients recourant le plus au dépôt à vue : « ne pas dépenser plus que ce que l'on a » et « ne pas tout dépenser ce que l'on a ». C'est en soit un comportement de bonne gestion de son budget. Sauf que la réalité montre autre chose. Ainsi, dans l'échantillon de l'enquête (1), les personnes interrogées déclarent laisser au moins 1.100 euros en moyenne sur le compte courant. Dans les faits, ce sont 2.100 euros. Autre exemple d'écart entre le comportement et la perception des clients : alors que toutes les personnes interrogées connaissent une progression de l'encours de leurs dépôts à vue supérieure à 50%, selon l’étude, seulement 64% d'entre elles ont conscience de laisser de l’argent sur leurs dépôts à vue plutôt que sur de l’épargne rémunérée et les trois quart ont l’impression d’en laisser moins (32%) qu’avant et autant (42%) sur leurs comptes courants.

Didier Caylou résume : « Le dépôt à vue fait figure de solution parfaite par rapport au besoin de liquidité et à l'enjeu primordial de disponibilité de l'argent en raison notamment de l'instabilité de l'emploi, le manque de visibilité sur le mois prochain et du contexte économique mondial. Il est aussi perçu comme un coffre-fort, une réserve sécurisée. » Ce succès vient aussi de la diversité des moyens des paiements associés aux dépôts à vue, qu'on ne retrouve pas avec un livret d'épargne réglementé, ou pas. Et les passerelles offertes par les applications sur mobile et tablette, et les alertes SMS pour déplacer des sommes d'argent d'un compte à un autre, ne suffisent pas à renverser le comportement actuel.

Comportement paradoxal des clients

Ce comportement décrit par l'étude pour expliquer l'engouement pour le dépôt à vue est « paradoxal » estime Cédric Mignon. « Sur les dernières années, le taux d'intérêt net d'inflation du Livret A n'a jamais été aussi élevé : 0,75% ». Par comparaison, lorsque le taux du Livret A a été à 2,25% en 2011, le taux réel était de 0,25%, selon les données présentées par la banque. Il conclut : « Nous avons un vrai devoir de pédagogie auprès des Français, de nos clients pour leur dire : vous jugez que les taux de livret ne rapportent pas assez, alors qu'en réalité, si vous vouliez optimiser votre épargne, plus que jamais, vous placeriez votre épargne sur un Livret A. C'est notre devoir de conseil ». Reste que le phénomène du dépôt à vue semble s'installer durablement, au moins tant que la politique des taux de la Banque centrale européenne reste celle qui s'applique en ce moment.

(1) Etude menée en deux temps par Audirep auprès d’un échantillon de clients Caisse d’Epargne, répartis en six segments selon le niveau de montant de dépôts sur le compte courant et son augmentation sur six mois consécutifs. Une phase qualitative a été réalisée par téléphone et en face-à-face du 5 au 21 octobre auprès de 36 clients appartenant à chacun des segments. Une phase quantitative a été réalisée en ligne du 23 novembre au 1er décembre 2015 auprès de 1.285 clients Caisse d’Epargne répartis sur les six segments.