Pour toucher son salaire ou disposer d'une carte de paiement, plus besoin d'entrer dans une agence bancaire : il suffit de surfer sur internet, de se rendre chez son buraliste ou dans son supermarché. Profitant des changements réglementaires et technologiques, de nouveaux acteurs se placent sur les marchés de la tenue de compte et des paiements, et brouillent la frontière entre ce qui est bancaire et ce qui ne l'est pas. Mais qu’est-ce qui se cache derrière ces comptes bancaires sans banque ?

Auparavant, tout était simple. Vous souhaitiez disposer d’un RIB pour toucher votre salaire ? D’une carte bancaire pour régler vos courses ? D’un compte pour mettre de l’argent de côté ? Vos interlocuteurs naturels étaient les banques de détail. Ça, toutefois, c’était avant. Depuis quelques années, de nouveaux acteurs pointent le bout de leur nez et tentent de faire bouger les lignes.

Pour y parvenir, ces « néo-banques », comme on les surnomme parfois, ont profité d’une coïncidence historique. D’un côté, des évolutions réglementaires - la directive européenne sur les services de paiement (DSP1), notamment - ; de l’autre, une révolution technologique, celle du numérique. Contraintes de revoir leurs systèmes d’information, leurs interfaces client voire leur modèle économique, les banques traditionnelles, ces lourdes machines, le font souvent à un train de sénateur. D’où l’opportunité, pour des nouveaux acteurs plus agiles et plus modernes, de leur prendre quelques parts de marchés.

Des acteurs agiles….

L’agilité et la modernité, ce sont précisément les principales qualités mises en avant par Compte-Nickel, Anytime, PCS ou Number26, les principaux comptes de paiement commercialisés en France actuellement. Ces acteurs se font fort de vous proposer des ouvertures de compte simples, des moyens de paiement disponibles quasi-immédiatement, des interfaces modernes (notamment sur mobile) et des services innovants (solde mis à jour en temps réel, géolocalisation des achats, blocage de la carte depuis l’application, etc.). Compte-Nickel, par exemple, permet à toute personne disposant d’une pièce d’identité et d’un numéro de mobile d’ouvrir un compte en 10 minutes chez un buraliste agréé et de bénéficier sur le champ d’une carte bancaire. Le service a clairement trouvé son public : en deux ans, plus de 200.000 comptes ouverts.

Ces comptes de paiement peuvent-ils pour autant remplacer efficacement un compte bancaire ? Tout dépend de vos besoins. Vous souhaitez bénéficier d’un compte spécifique pour vos achats en ligne, pour vos loisirs, pour vos voyages ou pour gérer à part vos dépenses professionnelles ? Ces nouveaux prestataires peuvent faire l’affaire. Vous souhaitez un compte pour domicilier vos revenus ? Elles le permettent également, en fournissant à leurs clients un RIB. Mais la comparaison avec les comptes bancaires s’arrête là.

… mais aux services limités

En effet, si vous envisagez d’utiliser ces comptes de paiement au quotidien, il faudra d’abord éviter les stations essences 24h/24 et les péages : les cartes de débit à autorisation systématique qui les accompagnent peuvent ne pas fonctionner dans ces automates, qui nécessitent de provisionner une somme d’argent avant le paiement effectif. Il faudra aussi veiller à bien alimenter votre compte de paiement : ces derniers ne sont habilités à accorder ni découvert, ni débit différé. Il faudra enfin oublier l’idée d'épargner : les sociétés qui proposent ces services n’ont pas l’autorisation de placer vos dépôts.

Le crédit et le placement des dépôts restent en effet l’apanage des établissements de crédit dûment agrémentés par le régulateur bancaire, l’ACPR (1), ce que les comptes de paiement ne sont pas. La Financière des paiements électroniques (FPE), la société qui a inventé Compte-Nickel, et Prepaid Financial Services, qui distribue PCS, disposent d’agréments « light » d’établissements de paiement et de monnaie électronique. Cet agrément nécessite beaucoup moins de fonds propres et est donc plus facile à obtenir que celui d’établissement de crédit. Quant à Anytime et Number26, ce sont des prestataires de services de paiement, qui sous-traitent la gestion des cartes et des dépôts à des banques - britannique pour le premier (Raphaels Bank) et allemande pour le second (WireCard Bank).

Number26, néanmoins, semble avoir l’ambition de faire tomber certaines limites. D’ores et déjà, la fintech berlinoise a lancé en Allemagne une fonction baptisée « Overdraft », qui permet de recharger son compte grâce à un crédit accordé par Wirecard Bank, son partenaire bancaire. Elle a également créé ce qu’elle appelle un « Fintech Hub », qui lui permet d’intégrer dans son application mobile des services fournis par des tiers. C’est déjà le cas depuis peu avec TransferWise, une fintech britannique spécialisée dans les transferts d’argent en devises.

Des services généralement payants

D’usage nettement moins complet que les comptes bancaires, les comptes de paiement en partagent toutefois une caractéristiques : la tarification. Comme les banques traditionnelles, mais contrairement aux banques 100% en ligne, Compte-Nickel, Anytime et PCS font en effet payer la délivrance de la carte bancaire : 20 euros par an pour le premier, 36 euros pour le second et entre 9,90 et 19,90 euros pour le dernier, selon le montant de dépôts autorisé. A cela s’ajoute des frais de retraits et de versements.

Le paradoxe Prêt d'Union

Les nouveaux acteurs n’exercent pas seulement dans la tenue de compte et le paiement. Une réussite française, cette fois dans le domaine du crowdfunding, s’appelle Prêt d’Union. Créée en 2009, la start-up a importé en France un concept développé aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne : le prêt de particulier à particulier. Elle permet ainsi à des investisseurs qualifiés de prêter de l’argent, avec intérêts, à d’autres particuliers. Le succès est au rendez-vous : selon des chiffres récemment publiés par le groupement professionnel Financement Participatif France, Prêt d’Union a drainé en 2015 près de la moitié de la collecte totale des acteurs français du crowdfunding, soit 130 millions d’euros.

Se revendiquant du crowdfunding et se présentant comme une alternative aux banques, Prêt d’Union a pourtant la particularité d’être techniquement un établissement de crédit. Un paradoxe, mais une nécessité aujourd'hui pour pouvoir accorder des prêts avec intérêts aux particuliers, ce que n'autorise pas le cadre réglementaire du financement participatif.

(1) Autorité de contrôle prudentiel et de résolution