Depuis deux ans, la fuite massive des épargnants assortie de deux baisses du taux a entraîné une fort repli des intérêts capitalisés sur les Livrets A, dont le montant a été divisé par deux en trois ans. Une évolution qui n’est pas sans conséquences.

Ce n’est pas un scoop : depuis deux ans, les Français se détournent massivement du Livret A. Après une campagne 2014 qui s’était soldée par une décollecte de 6,14 milliards d’euros, le livret réglementé a connu en 2015 le pire millésime de son histoire, les épargnants y prélevant 9,29 milliards d’euros.

Les causes de ce désamour sont connues. Passé de 2,25% à 1,75% en février 2013, puis à 1,25% le 1er août 2013, 1% le 1er août 2014 et finalement 0,75% en août dernier, le Livret A n’est plus considéré comme suffisamment attractif par les Français. Ils lui préfèrent notamment le Plan épargne logement (24 milliards d’euros de collecte en 2015) et son taux garanti (1,5% actuellement) pour toute la durée de vie du produit.

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5 milliards en 2012, 2,23 en 2015

En toute logique, la conjonction des baisses de taux et des décollectes successives a un fort impact sur les intérêts annuels capitalisés sur les 61 millions de Livrets A recensés en France (1). La Caisse des dépôts et consignations (CDC) fournit des chiffres à ce sujet. C'est en effet le bras financier de l'Etat qui paye la majorité de ces intérêts, correspondant à la part de l'encours centralisé dans son Fonds d'épargne, ainsi que la commission payée aux banques en échange de cette centralisation.

Retour en arrière. En 2009, la collecte fait un bond pour dépasser les 16,5 milliards d’euros. C’est la conséquence de la généralisation de la distribution du produit à l’ensemble des enseignes (2) : on peut désormais ouvrir un Livret A au Crédit Agricole ou chez BNP Paribas. Logiquement, le montant des intérêts capitalisés monte à 3,36 milliards d’euros. Nouveau pic en 2011 : le taux remonte d’un demi-point pour atteindre 2,25% le 1er août. La collecte suit (17,38 milliards d’euros), les intérêts également (4,15 milliards). Puis vient 2012, l’année de tous les records. Le président de la République nouvellement élu, François Hollande, décide de relever le plafond de versement, de 15.300 euros à 19.125 euros le 1er octobre. Les Français profitent de l’aubaine et placent 28,16 milliards d’euros supplémentaires sur le Livret A, toujours rémunéré à 2,25%. Les intérêts suivent et atteignent le montant record de 5 milliards d’euros.

En 2013, la tendance s’inverse. Le Livret A, dont le plafond est de nouveau relevé pour atteindre son niveau actuel, 22.950 euros, engrange 12,14 milliards et le montant des intérêts capitalisés baisse à 4 milliards d’euros. Le produit passe dans le rouge en 2014, qui s’achève par une décollecte nette de 6,13 milliards d’euros et des intérêts capitalisés de 2,94 milliards. Un chiffre encore en repli au terme de l’annus horibilis 2015 : 2,23 milliards d’euros, soit plus de deux fois moins qu’en 2012.

Le Livret A assure pourtant sa mission

Cette réalité est d’autant plus cruelle pour le Livret A que depuis 2012, le produit d’épargne a parfaitement rempli sa principale mission : protéger l’épargne de précaution des Français de la hausse des prix. Le graphique ci-dessous, qui met en perspective le taux du Livret A (en orange) et le taux d’inflation hors tabac (en rouge), le montre bien.

Taux du Livret A en février 2016
Taux du Livret A et inflation entre 2003 et 2016

Dans le même temps, une autre mission du Livret A, celle de fournir à la CDC les moyens de financer certaines politiques publiques, notamment en matière de logement social, est fragilisée. Comme l’explique le journal Les Echos, à la faveur des importantes décollectes de 2014 et 2015, le ratio entre les encours d’épargne centralisés à la CDC et les montants prêtés aux organismes HLM et aux collectivités se rapproche de la limite fixée par la réglementation, 135%. La Caisse des dépôts pourrait ainsi être placée face à un dilemme : demander à Bercy de remettre en cause ce ratio, et fragiliser son modèle économique ; ou demander aux banques de centraliser une part plus importante de l’encours du Livret A, et fragiliser leurs ratios de liquidités.

(1) 61,6 millions fin 2014, selon l’Observatoire de l’épargne réglementée de la Banque de France.

(2) Jusqu’au 31 décembre 2008, le Livret A était distribué uniquement par les Caisses d’Epargne, la Banque Postale et les Crédits Mutuels (sous le nom Livret Bleu).