Le nombre de plateformes se revendiquant du crowdfunding immobilier a explosé en 2015 : un rapport dévoilé cette semaine comptabilise 26 sites s’étant positionné sur ce créneau. Mais le crowdfunding immobilier cache des logiques multiples, aussi bien dans le type de bien à financer que dans les montages financiers. Faut-il déjà faire de l’ordre dans ce secteur émergent ? Réponse de Chloé Magnier, économiste co-auteure de ce rapport (1).

Quinze plateformes de crowdfunding immobilier affichaient des projets à financer en septembre dernier, contre 4 en 2014. Ces multiples lancements vont-ils se poursuivre en 2016 ?

C.M. : « Dans le cadre de notre étude, nous avons recensé 26 plateformes en activité sur ce segment, c’est-à-dire avec un site opérationnel. Parmi elles, 20 ont répondu à notre questionnaire et 15 présentaient effectivement des projets à la fin septembre. Début 2016, les 26 que nous avons recensées seront pleinement opérationnelles. Et je sais que deux ou trois autres plateformes doivent se lancer courant janvier donc, oui, la multiplication va probablement se poursuivre à court terme. C’est logique : il n’existe pas de barrières à l’entrée ! Or les entrepreneurs flairent l’intérêt de se positionner sur un marché mêlant le financement participatif, en plein développement, et l’immobilier, qui représente un placement porteur pour les Français. Cependant, cette explosion ne durera qu’un temps, comme pour le crowdfunding en général : il y aura une forte concentration d’ici 3 ou 4 ans. »

Votre rapport pointe la grande diversité des plateformes de crowdfunding immobilier au niveau des montages financiers. Certaines sortent du cadre réglementaire : est-ce volontaire ?

C.M. : « Elles veulent toutes être régulées ! Mais effectivement, ce n’est pas encore le cas. Sur les plateformes sondées, il n’y a que cinq statuts IFP et neuf CIP [les deux statuts créés spécifiquement pour le financement participatif en octobre 2014, NDLR]. Certaines ont un statut qui n’entre pas dans le cadre du financement participatif, et huit ne sont pas régulées. A terme, elles aimeraient toutes pouvoir afficher le logo officiel du financement participatif, afin de rassurer les investisseurs. »

Dans votre rapport, vous constatez que le terme crowdfunding est parfois « usurpé » afin de profiter de « l’engouement général » lié au financement participatif, et de « l’appétence des Français pour l’immobilier »…

C.M. : « En réalisant cette étude, j’ai contacté certains sites en pensant qu’il s’agissait de plateformes de crowdfunding immobilier. Or c’était juste une étiquette ! Les 26 recensés exercent réellement sur ce marché de niche. Ne faudrait-il pas protéger les appellations se rattachant au crowdfunding immobilier ? Probablement, mais je ne sais pas ce qui est possible d’un point de vue juridique. »

L’étiquette « crowdfunding immobilier » cache donc un ensemble sans uniformité…

C.M. : « Le crowdfunding n’est pas un mot déposé. N’importe qui peut s’y raccrocher. Le cadre du financement participatif, avec les statuts IFP [pour les prêts et les dons, NDLR] et CIP [pour l’investissement en fonds propres, NDLR], a été imaginé pour soutenir les projets entrepreneuriaux. Or les plateformes proposant du crowdfunding immobilier locatif [d’autres proposent des projets de promotion, de rénovation, etc.] sont plus dans une logique de projets patrimoniaux. »

Les pouvoirs publics prévoient-ils d’adapter le cadre réglementaire en vigueur depuis octobre 2014 ?

C.M. : « A l’époque, quelques plateformes proposaient déjà des projets immobiliers, de façon épisodique. Le législateur n’a pas pensé bon de créer un cadre spécifique. En mai 2015, une quinzaine de plateformes s’étaient positionnées sur ce segment et la moitié proposaient des parts de société civile immobilière (SCI), un montage financier n’entrant pas dans le cadre du financement participatif [contrairement aux investissements proposés par les plateformes immatriculées CIP ou IFP, la souscription de parts de SCI engage l’épargnant au-delà du capital investi, NDLR]. L’Autorité des marchés financiers a alors publié une mise en garde contre l’investissement en sociétés civiles. Depuis, les montants collectés augmentent et, à l’échelle du financement participatif, le crowdfunding immobilier représente des sommes significatives. Cette croissance étant amenée à se poursuivre en 2016, il est probable que les autorités de régulation et le législateur se penchent sur la question. L’objectif étant d’encadrer ces pratiques pour éviter des dérives qui jetteraient l’opprobre sur tout un secteur. Quand ? Le projet de loi Marcon 2, #noé, comportera notamment un volet sur l’économie numérique. Cela pourrait éventuellement être un bon véhicule. »

Est-il envisageable de créer un cadre cohérent pour une telle hétérogénéité de plateformes ?

C.M. : « Certaines plateformes souhaitent la création d’un troisième statut lié au financement participatif, afin d’englober les projets patrimoniaux, ou proposent d’améliorer le statut CIP pour y intégrer l’immobilier locatif. Personnellement, je ne suis pas favorable à un troisième statut qui rendrait ce cadre encore plus compliqué. Il y a toutefois une volonté claire d’autorégulation dans ce secteur émergeant : ces plateformes ont créé l’association française du crowdfunding immobilier, l’AFCIM (2). Le sujet stratégique, c’est la diversité des montages financiers et la transparence vis-à-vis des investisseurs. Aujourd’hui, le particulier passant par une plateforme CIP répond à un questionnaire, pour s’assurer qu’il est conscient des risques encourus. Certaines plateformes choisissent d’informer largement, d’autres non. Il faudrait trouver un procédé qui puisse être en adéquation avec l’ensemble des plateformes. »

Les autorités doivent donc s’adapter à l’inventivité de ces plateformes…

C.M. : « La réglementation s’adapte aux pratiques. Là, on constate qu’elle n’est pas assez précise. On doit aller vers un champ plus clos. »

Comment protéger les investisseurs plus efficacement dans ce secteur en ébullition ?

C.M. : « C’est compliqué ! Déjà en précisant l’information que les plateformes doivent leur transmettre et à quel moment. Cela passe aussi par un questionnaire de connaissances financières adapté : court et calibré. Plus généralement, il faut aider les Français à faire évoluer leur état d’esprit : qu’ils passent de la logique de l’épargnant, qui souscrit une assurance-vie, à une logique d’investisseur. Une majorité de Français ne sont pas habitués à prendre des risques. Si les plateformes veulent démocratiser l’investissement immobilier, elles doivent mener ce travail de pédagogie. »

(1) « Le crowdfunding immobilier : son fonctionnement, ses enjeux, ses défis », par Chloé Magnier (CM Economics) et Céline Mahinc (Eden Finances). Le rapport est disponible sur commande sur etudecrowdimmo.fr.

(2) En sont membres Dividom, Baltis Capital, Immocratie, Crowdfunding-immo, Invecity, Hexagon-e, Homunity, Crowdimo et Propulss. Les deux leaders de ce marché émargeant, Wiseed et Anaxago, qui réalisent pour l’heure 80% de la collecte, ne font donc pas partie de cette association.