Levier « essentiel » pour les banques en ligne, le parrainage traverse actuellement quelques remous. Alors que le site internet leader du secteur, lesparrains.fr, annonce sa fermeture, l’administration fiscale fait une mise au point : les primes de parrainages sont des revenus à déclarer !

« Merci pour cette belle aventure partagée ensemble ». Début octobre, le site lesparrains.fr annonce à ses membres sa fermeture, et bloque l’ensemble des comptes, suite à des tensions entre utilisateurs. Un petit événement, car cet espace communautaire réunissait plus de 50.000 parrains, générant des millions de contacts par an. Un site qui correspond à une nouvelle tendance : des centaines de clients de sites marchands et de banques en ligne, publient sur le web des annonces pour recruter des filleuls, et cumuler ainsi les primes de parrainage. Ils promettent même de reverser une partie de ces primes à ceux qui les choisissent.

Car les primes sont conséquentes : 100 euros chez Monabanq et ING, et même 150 euros en ce moment pour Fortuneo, BforBank ou Boursorama. De quoi inciter certains parrains à se « professionnaliser » : campagnes de mailing, sites dédiés, etc. Ainsi, Antoine (1) confie avoir parrainé « 400 clients Boursorama en quatre ans, et des dizaines chez les autres banques. Soit quelques milliers d’euros. » Pour Benoît (1), l’activité représente « un complément de revenus de 300 à 400 euros par mois » ! Des gains « nets d’impôts, assimilables aux jeux de hasard », assurent ces gros parrains.

Rien à voir avec des gains de jeu

La direction générale des finances publiques (DGFIP) n’est pas d’accord : « En aucun cas, les primes de parrainage n’entrent dans la catégorie des primes de jeu ! » Car ici, pas de loterie, mais plutôt un « don » lié à un service... à déclarer ! « Ces primes, si elles sont versées en numéraire, sont à déclarer en bénéfices non commerciaux (art. 92 du code des impôts), » ajoute Bercy.

Parrainer ses amis, c’est donc frauder ? Une « tolérance » existe, pour le parrainage comme pour les ventes en ligne, le covoiturage, etc. La condition : que « ces pratiques restent occasionnelles » et que « les revenus représentent une faible part du revenu fiscal de référence ». Quelques centaines d’euros par an, c’est d’accord. Plusieurs milliers, non ! « Il est difficile de concevoir qu’une personne créant des pages en ligne, faisant la publicité active de son parrainage, ignore qu’il exerce une activité semi-professionnelle », analyse la DGFIP. Les personnes qui exercent « de manière régulière une activité censée être ''annexe'' ou ''occasionnelle'', produisant des revenus substantiels » s’exposent à de sérieux redressements...

Stratégique pour les banques

Le parrainage dérape-t-il ? Pour Benoît Grisoni, directeur de Boursorama Banque, il faut relativiser le phénomène. « Les parrainages ont lieu surtout la première année, et se limitent à deux ou trois par client. On est loin d’un processus industriel ! Il doit y avoir quelques ''artisans'' du parrainage... Mais cela reste l’exception ! » Pas question de remettre en cause un système rapportant à la banque « plusieurs dizaines de milliers de clients » par an. « Le parrainage a toujours été très important pour nous. Cela fait partie d’un dispositif global de communication. C’est un effort que la banque fait pour récompenser un client. Recommander une banque, c’est un processus complexe. Il est normal de le valoriser. » Boursorama impose toutefois une limite : 10 parrainages par mois. « On a toujours regardé de près les ultra-parrains. On analyse les profils sociologiques des parrains et filleuls, pour vérifier l’absence de clients fictifs. » Quand on sait qu’un nouveau client « coûte » près de 1.000 euros aux banques, le sujet est hautement stratégique.

Raphaël Krivine, directeur de Soon (lancé en décembre 2014 par Axa Banque), ne s’étonne pas de la réaction du fisc. « Dans le cas extrême d’un parrain professionnel, qui travaillerait pour plusieurs établissements du secteur, obtenant un revenu régulier, cela semble logique que l’administration s’y intéresse ». Mais chez Soon, les exemples sont rares. « En moyenne, nos clients parrainent une personne et demie. Cela reste extrêmement limité et ponctuel. » Pour autant, le bouche à oreille est essentiel : le parrainage représente 20% des 14.000 comptes de la banque. « Nos clients convaincus, ce sont nos premiers ambassadeurs. Ils amènent en règle générale des filleuls de qualité, » ajoute le directeur. Constate-t-il des dérives ? « De temps en temps, on peut voir apparaître des phénomènes moins vertueux. Si un parrain se contente d’approcher un particulier déjà en contact avec Soon, nous sommes dans une double logique d’acquisition. Ce n’est pas souhaitable. » Le pire pour une banque : que des clients ferment leur compte après avoir touché les primes. Du coup, Soon a adapté la règle : la prime d’ouverture de compte est versée aux nouveaux clients après 5 dépenses en deux mois. De quoi limiter les comptes fictifs, et par ricochet, les parrainages bidon.

Des cadeaux plutôt que de l’argent ?

Existe-t-il d’autres solutions ? Le courtier en assurances-vie Linxea, dont les parrains sont très actifs sur la toile, a trouvé une alternative : des points convertibles en chèques-cadeau, plutôt que de l’argent. De quoi éviter tout problème de fiscalité. « Quand on observe certaines dérives du parrainage, on peut presque y voir de la vente pyramidale », tranche Yves Conan, nouveau directeur général de l'enseigne. « Le parrainage correspond à l’esprit défricheur et communautaire insufflé par les créateurs de Linxea. Cela doit rester un acte de bienveillance. Offrir des points et des chèques cadeaux, cela apporte un état d’esprit différent, plus qualitatif, plus sincère. » Et cela permet de « filtrer beaucoup des petits malins du parrainage. » Malgré ces précautions, que pense-t-il des parrains Linxea qui reversent de l’argent aux filleuls ? « C’est une situation assez gênante, car cela peut galvauder l’esprit de départ, » déplore Yves Conan. Du coup, l’entreprise réfléchit à un nouveau système : offrir des cadeaux « personnalisés » aux parrains.

Car la méfiance est de mise. Depuis le 28 août (2), la loi de finance rectificative 2014 instaure un « droit de communication des sites internet ». L’administration fiscale peut désormais réclamer aux sites web « des listes de personnes, pour détecter les activités non déclarées exercées via internet » ! Et le fisc semble décidé à s’en servir.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

(2) Décret d'application n° 2015-1091 du 28 août 2015