Le World Wide Web Consortium (W3C), l’organisation qui développe les standards du web, vient de créer en son sein un groupe de travail dédié au paiement en ligne. Objectif : créer un portefeuille électronique universel, permettant d’unifier l’expérience d’achat en ligne des consommateurs, quels que soient le moyen de paiement et le site marchand utilisés. Une évolution qui marquerait un pas de géant dans un écosystème aujourd’hui très fragmenté et très insatisfaisant pour les usagers. Explications avec Bernard Gidon, représentant du W3C en Europe.

Tout le monde ou presque utilise le web tous les jours, mais plus rares sont ceux qui connaissent le W3C. Pouvez-vous nous présenter cette organisation ?

Bernard Gidon : « Le W3C a été fondé il y a 21 ans par Tim Berners-Lee, un des inventeurs du Web [la partie de l’internet consultable depuis un navigateur, NDLR]. Pour protéger son invention des appétits privés, garantir qu’elle reste libre d’accès pour tous, tout en la développant jusqu’à son plein potentiel, il a fait le choix de réunir les industriels dans un consortium, à but non lucratif. Il compte aujourd’hui plus de 400 membres, allant des géants comme Google ou Apple jusqu’aux startups avec deux salariés. Son rôle est de développer des technologies ouvertes et compatibles avec tous les navigateurs, à l’image de la plus connue, le HTML5. Le W3C a ainsi produit environ 220 standards, et une soixantaine de groupes de travail fonctionnent actuellement en parallèle. »

Pourquoi le W3C s’intéresse-t-il aujourd’hui au paiement en ligne ?

B.G. : « Il s’agit d’une demande du secteur financier [Parmi les membres du W3C, on retrouve notamment BPCE, PayPal, Orange, Ingenico ou Gemalto, NDLR], qui souhaite améliorer l’usage des wallets, les portefeuilles électroniques permettant de payer en ligne et sur mobile. Actuellement, le taux d’abandon des paniers d’achat sur les sites d’e-commerce est de 68% : plus des deux tiers des clients abandonnent donc en cours de route, notamment parce que la procédure de paiement est trop complexe. Face à cette situation, le W3C a décidé de créer un groupe de travail, dont l’objectif est de mettre en place un standard qui garantira à la fois la sécurité, la confidentialité et la simplicité du paiement en ligne. »

Comment cela va-t-il se matérialiser ?

B.G. : « Tout d’abord, précisons qu’il ne s’agit pas d’entrer dans les mécanismes du paiement lui-même, mais de créer une ''surcouche'' d’API [interface permettant à un site internet de rendre disponible un service tiers, NDLR] capable de gérer les différents moyens de paiement existants. Nous allons travailler avec les normes existantes, par exemple le standard EMV [Pour Europay MasterCard Visa, standard international de sécurisation des cartes à puce, NDLR]. Ainsi, on peut envisager à terme qu’un consommateur, dûment authentifié, puisse avoir accès, quel que soit le site d'e-commerce, à une interface simple lui permettant de choisir entre les différents moyens de paiement (sa carte bancaire, son compte PayPal, etc.) acceptés par le marchand et de valider son achat en un clic. »

Un des principaux écueils, on l’imagine, est la question de la sécurité et de l’authentification de l’usager…

B.G. : « Effectivement, les membres de ce groupe de travail sont très attachés à cette question. Ce sera donc un des principaux enjeux des discussions et du développement, qui fera l’objet d’échanges avec d’autres groupes, travaillant par exemple sur la confidentialité ou le cryptage des données. L’objectif étant, comme le veut le fonctionnement du W3C, de parvenir à un résultat qui fasse consensus entre tous les acteurs, gros ou petits, qui disposent tous d’une voix. »

Certaines banques, comme BPCE en France, sont membres du W3C. Ne craignent-elles pas que ce wallet standard les mette frontalement en concurrence avec les nouveaux acteurs du paiement ?

B.G. : « Je pense que certaines banques ont pris le virage technologique et ont bien compris qu’elles avaient tout intérêt à faciliter les paiements en ligne et mobiles si elles voulaient développer leur activité dans ce domaine. La concurrence avec les moyens de paiement alternatifs, de toute façon, est déjà une réalité. »

A quel horizon peut-on espérer voir émerger le nouveau standard ?

B.G. : « De la création du groupe de travail à la livraison de la technologie recommandée, il va s’écouler entre 18 mois et 2 ans. Ensuite, pour qu’elle devienne un standard, il faut qu’elle soit implémentée par les navigateurs. Cela ne devrait pas poser problème, dans la mesure où Apple, Google, Mozilla, Microsoft font tous partie des membres du W3C, et que tous sont intéressés par l’existence de standards mondiaux ».