Les commissions d’intervention, prélevées notamment en cas de découvert non autorisé, sont-elles des frais rémunérant un service rendu par la banque, ou doivent-elles être considérées comme des intérêts déguisés ? Le point sur la jurisprudence en la matière, à partir de l’exemple d’un récent arrêt de la cour d’appel de Bordeaux.

Parmi les multiples lignes tarifaires prévues par les banques, les commissions d’intervention, facturées en plus des intérêts débiteurs lorsqu’une opération place un compte en situation de dépassement de découvert, font sans doute partie des plus contestées, y compris devant la justice. A tel point que certaines associations de consommateurs ont demandé un temps leur interdiction pure et simple. Le législateur n’est pas allé aussi loin. Il s’est contenté, depuis le 1er janvier 2014, de plafonner leur montant à 8 euros par opération et 80 euros par mois (4 et 20 euros pour les clients fragiles). Ce faisant, il a d'ailleurs contribué à pérenniser cette pratique.

Cette mesure, pour autant, ne règle pas une question : ces commissions d’intervention rémunèrent-elles un service distinct du découvert, en l’occurrence l’examen par un conseiller clientèle d’une opération plaçant le compte de son client en situation irrégulière ? Ou doit-on les considérer comme des intérêts supplémentaires déguisés, entrant à ce titre dans le calcul du TEG (taux effectif global) appliqué au découvert, au risque de le voir dépasser le taux d’usure ? La justice, saisie par des clients bancaires, professionnels ou particuliers, contestant les frais facturés sur leur découvert, est régulièrement appelée à trancher la question.

Pas d’ambiguïté pour les banques

Du côté des banques, la réponse est sans ambiguïté : les commissions d’intervention rémunèrent un service. « Dans un grand réseau, chaque agence examine en moyenne, chaque jour, plusieurs dizaines voire une centaine de situations particulières pour déterminer s'il est possible de trouver une solution individuelle, évitant ainsi un rejet pur et simple principalement d'un chèque ou d'un prélèvement. Ceci ne peut être fait que par l'intervention des conseillers clientèle et réclame du temps et du savoir-faire », expliquait encore en 2013 la Fédération bancaire française (FBF), l’association professionnelle représentative du patronat des banques.

Face aux tribunaux, les représentants des enseignes se réfèrent généralement à un arrêt de la Cour de cassation du 22 mars 2012 (1), défavorable au client d’une caisse régionale du Crédit Agricole demandant le remboursement de près de 490 euros de frais (agios et commissions d’intervention notamment) prélevés par sa banque suite à une série de découverts. Pour arriver à cette conclusion, la Cour avait retenu plusieurs arguments. L’existence de commissions d’intervention était d’abord mentionnée dans la convention de compte signée par le client. Celui-ci, ensuite, n’avait pas connu de période de découvert supérieure à trois mois, qui aurait pu justifier de requalifier le découvert en crédit classique. Ces commissions, enfin, étaient facturées à l’occasion de la validation d’une opération irrégulière, mais aussi dans le cas d’un rejet, attestant donc que la décision résultait bien d’un traitement manuel, et pas d’une validation automatique.

TEG erroné

La justice, toutefois, ne tranche pas toujours en faveur des banques. C’est le cas récemment de la Cour d’appel de Bordeaux, qui a contredit une décision du Tribunal de grande instance de Libourne. Dans cette affaire, le plaignant demandait l’annulation du taux d’intérêt conventionnel appliqué au découvert de son compte professionnel, et son remplacement par le taux de l’intérêt légal, beaucoup plus faible (0,93% actuellement). Une demande justifiée par le fait que le TEG de ce découvert était erroné, la banque ayant omis d’y intégrer le coût des commissions d’intervention.

Dans ce cas précis, la situation débitrice du compte avait perduré au-delà de trois mois, le découvert en compte étant alors requalifié en crédit classique. La convention de compte, par ailleurs, ne mentionnait pas l’existence de commissions d’intervention. Et la banque n’a pas été en mesure de prouver que ces commissions étaient la contrepartie d’une intervention manuelle, dans la mesure où ces commissions n’étaient prévues « qu’en cas de passation de l’opération et non de rejet de l’opération », détaille le jugement. Au final, dans cette affaire, le plaignant a vu sa dette allégée de près de 12.000 euros.

Au cas par cas

L’arrêt de la Cour d’Appel de Bordeaux est dans le droit fil d’un arrêt de la Cour de cassation datant du 8 janvier 2013 (1). « Celui-ci opère une distinction entre les commissions d’intervention visant à rémunérer un service distinct de l’opération de crédit, qui n’ont pas à être incluses dans les éléments à prendre en compte pour le calcul du TEG, et celles prélevées exclusivement en cas de dépassement du découvert autorisé. Ces dernières constituent un supplément d’intérêt et doivent donc être prises en compte dans le calcul du TEG », explique Me Caroline Brisseau, l’avocate du plaignant.

« Les banques ont donc tort d’imaginer que la question des commissions d’intervention est définitivement tranchée » poursuit Me Brisseau, qui a travaillé sur ce dossier avec l’expert financier du cabinet CTreso Pierrick Houga. « Le juge doit trancher en fonction du cas qui lui est soumis. L’ambiguïté de la convention de compte, et des conditions tarifaires, l’impossibilité pour les banques de produire des factures sont autant d’éléments qui doivent amener les juges à trancher en faveur d’une commission d’intervention en tant qu’intérêt déguisé. » Rien dans la législation ne dispense en effet une banque de l’obligation de fournir à son client, qu’il soit particulier ou entreprise, une facture (mentionnant éventuellement la TVA), s’il souhaite des précisions sur la nature - service particulier ou agios supplémentaires - de la commission d’intervention qu’il a payée.

Devoir de loyauté

Cette stratégie, toutefois, a ses limites. Depuis quelques années, les banques se sont adaptées en affichant dans leurs conditions tarifaires des frais de rejet comprenant une commission d’intervention. Objectif de la manœuvre : laisser croire qu’il s’agit systématiquement d’une commission de service. « Quand ces commissions sont prévues contractuellement dans la convention de compte, elles deviennent difficilement contestables devant la justice », confirme Me Brisseau.

Une autre approche reste toutefois possible. Dans l’arrêt du 8 janvier 2013, la Cour de cassation a également justifié sa décision défavorable à la banque en soulignant que celle-ci avait manqué à ses devoirs de conseil et de loyauté à l’égard de son client. Elle a en effet estimé qu’elle n’aurait pas dû laisser « perdurer un crédit sous forme de dépassement d'autorisations de découvert sans conseiller [à son client] un prêt de restructuration de la dette à un taux moins onéreux. »

(1) Voir sur Légifrance les arrêts de la Cour de cassation du 22 mars 2012 et du 8 janvier 2013