Ils ne sont qu’une vingtaine en France, souvent inconnus du grand public. Pourtant, leur activité croît à vitesse grand V. Les établissements de paiement, dont le statut juridique a été créé en 2007 par la directive européenne sur les services de paiement, se substituent aux banques pour fournir à la nouvelle économie du digital des services adaptés à ses modèles économiques. Lemonway, créé en 2007, en est un exemple. Entretien avec son fondateur et président, Sébastien Burlet.

Sébastien Burlet, en quoi consiste l’activité de Lemonway ?

« Lemonway est un établissement de paiement agréé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution [ACPR, organe de régulation du secteur financier en France, NDLR]. Notre métier est de fournir des moyens de paiement à la nouvelle génération de sites internet dont la spécialité est de mettre en relation des particuliers : les places de marché du e-commerce par exemple, mais aussi les sites de collecte pour cadeaux de mariage ou d’anniversaire, les sites de co-voiturage, les sites de crowdfunding… Cette nouvelle économie du numérique est en pleine effervescence. Comme elle collecte l’argent de particuliers pour le compte de tiers, elle a besoin de services adaptés, et les banques aujourd’hui ne sont pas capables de répondre à ce besoin. Résultat : en un an et demi d’activité, nous avons déjà plus de 200 clients. »

Pourquoi les banques ne parviennent pas à répondre à cette nouvelle demande ?

« Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que toutes les banques de plein exercice ne possèdent pas l’agrément pour opérer ce type de services dans leur totalité. Ensuite, parce qu’elles n’ont pas forcément la technologie, ni la culture nécessaires. Les banques comprennent bien le e-commerce classique, qui reproduit sur internet le face à face entre un consommateur et un marchand ; moins les business models de cette nouvelle génération de sites, qui se construisent hors des circuits industriels classiques. Le modèle de redistribution y est en effet beaucoup plus complexe. »

Peut-on comparer la difficulté d’adaptation des banques à cette nouvelle économie à celle de Kodak, qui n’a pas survécu à l’apparition de la photo numérique ?

« Non, la banque est une industrie très solide, qui s’est encore renforcée avec la crise, particulièrement en France : nous ne sommes donc pas du tout dans le cas de figure de Kodak. Le métier des banques n’est pas de sauter sans réfléchir sur toutes les innovations. Nous leur confions notre argent, nous devons pouvoir leur faire confiance. Ceci étant dit, dans le cas des places de marché, nous sommes passés de l’innovation d’usage à des volumes massifs. »

Vous considérez-vous comme des concurrents des banques ?

« Nous ne sommes pas en situation de compétition, mais plutôt de coopétition. Lemonway, par exemple, travaille avec un partenaire bancaire, BNP Paribas, chez qui nous déposons l’argent collecté pour nos clients. A ce titre, le business de la place de marché intéresse les banques, car il leur permet de collecter des liquidités, un critère important à l’heure de Bâle III (1). Dans le même temps, certains pans de la nouvelle économie se substituent en partie au métier bancaire. C’est le cas du crowdfunding, qui permet à des PME d’amorcer le financement de leur activité avant même de s’adresser aux banques ».

L’Autorité de régulation (l’ACPR) a récemment rappelé à l’ordre certaines places de marché, qui ne sont pas en conformité avec la réglementation européenne. Quel est l’enjeu ?

« L’enjeu, c’est la protection des consommateurs. Depuis la directive des services de paiement, si vous collectez et détenez de l’argent pour le compte d’un tiers, vous devez posséder un agrément d’établissement de paiement, ou vous adresser à un établissement de paiement agréé, comme Lemonway. Notre métier, c’est notamment de placer cet argent sur des comptes de cantonnement, des mini-caisses des dépôts, de façon à ce qu’il reste intouchable, même si le marchand fait défaut. Les nouvelles places de marché ont pris acte de cette réglementation. Le problème se situe au niveau de celles qui opéraient avant la directive de 2007, les plus grosses aujourd’hui. Le régulateur leur a rappelé qu’elles avaient jusqu’à mars 2015 pour se mettre en conformité, sans quoi il y aura des procédures judiciaires. »

Lire par ailleurs : E-commerce : le régulateur rappelle à l'ordre les places de marché

Votre métier est de cantonner l’argent des places de marché, mais aussi de sécuriser leur collecte…

« Effectivement, l’émergence des places de marché s’accompagne de nouveaux systèmes de fraude. On voit par exemple apparaître des faux mariages, ou des faux trajets en co-voiturage, destinés uniquement à blanchir de l’argent. Nous avons développé des outils appropriés qui permettent de détecter ce type de fraude, de renforcer l’authentification sur certains paiements jugés risqués, de vérifier et valider l’identité d’un acheteur… »

La première activité de Lemonway a été de fournir des services de paiements mobiles aux particuliers ? Où en êtes-vous de ce point de vue ?

« Nous constatons que cette activité fonctionne bien dans les pays du Sud (au Mali et au Cameroun en particulier), où il y a peu de clients bancarisés, moins dans les pays européens. Le marché du remboursement entre amis existe, mais est assez réduit. Un moyen de paiement doit aussi servir à payer, et de ce point de vue, le wallet est encore très loin derrière les espèces, le chèque et la carte bancaire dans les habitudes des consommateurs. La valeur d’usage du paiement mobile n’est pas assez grande par rapport à ces moyens de paiement. Et on ne peut pas interdire aux gens d’utiliser leur chéquier ou leur carte ! Je pense donc qu’il ne pourra fonctionner qu’auprès d’une nouvelle génération de consommateurs, qui n’a pas encore pris l’habitude de payer autrement. Il faudrait oser ouvrir en France, comme cela se fait en Grande-Bretagne, un service bancaire centré sur le paiement mobile et dédié aux 8-18 ans. »

(1) Sont dites « Bâle III » les nouvelles propositions de contrôle du secteur bancaire conçues par le Comité de Bâle à la suite de la crise des subprimes de 2007, et qui entrent progressivement en vigueur. Elles obligent notamment les banques à collecter plus de liquidités pour pouvoir maintenir leur capacité de crédit.