Selon Bernard Le Bras, président du directoire de Suravenir, 2015 pourrait bien être l’année du véritable décollage de l’assurance-vie sur internet. Entretien avec le patron de la filiale assurance-vie du Crédit Mutuel Arkéa, qui peut déjà se targuer d’une surperformance sur le marché web en 2014.

En cette fin d’année, comment ne pas vous questionner sur la rémunération 2014 des assurances-vie en euros… Comment interprétez-vous le fait que certains de vos confrères, traditionnellement précoces dans leurs annonces, aient manifestement retardé leur communication ?

« En effet, les premières annonces tardent à venir. Et ce retard est déjà en soi une information sur la nature de ce qui sera communiqué ! Tout le monde s’attend, en moyenne, à une rémunération de l’assurance-vie en euros en dessous de 2,5% pour 2014. Maintenant, que ce soit au final 2,5%, 2,4% ou 2,3%, il n’y a pas aujourd’hui d’enjeu commercial majeur, notamment face aux 1% de rémunération de l’épargne réglementée. L’enjeu est plus sur ce qui sera mis en réserve (réserve qui revient in fine aux assurés je le rappelle), afin d’éviter de trop lourdes conséquences si l’un ou l’autre de ces deux scénarios extrêmes se réalisaient : une crise « à la japonaise », avec des taux restant bas sur une longue période ou à l’inverse une remontée trop brutale de ces même taux. Reste, ensuite, le contexte concurrentiel entre acteurs de l’assurance-vie… Pour Suravenir, nous communiquerons comme nous avons l’habitude de le faire, fin janvier. »

Pas évident de communiquer pour les assureurs sur les résultats 2014 !

« Certes, l’exercice est plus difficile cette année. On pourra se rassurer en se rappelant qu’au moins en réseau bancaire, il n’y a pas une forte élasticité du marché de l’assurance-vie aux taux de rémunération. Ce qui n’est pas le cas sur internet, où le client a tout loisir de comparer les performances des contrats. D’ailleurs je pense que cette année marquera un changement dans la communication concernant l’assurance-vie : on va beaucoup moins parler de taux que de niveaux de réserve [Provision pour participation aux bénéfices (1), NDLR]. Et il y a fort à parier que l’on voie apparaître de nouvelles colonnes dans les tableaux comparatifs pour prendre en compte ce critère. En parallèle, l’optimisation de contrats sera aussi une autre thématique forte en matière de communication, invitant les épargnants à ne pas rester trop « passifs » et à investir un peu plus sur des fonds en unités de compte sur l’immobilier, sur des produits structurés par exemple, pour améliorer la rémunération de leurs placements. »

Quelques mots ou chiffres sur les résultats 2014 pour Suravenir ?

« 2014 est un très bon cru pour Suravenir. Pour nos 30 ans, l’encours total va passer le cap des 30 milliards d’euros – tout un symbole ! Côté collecte, nous passons pour la première fois le cap des 3 milliards, à plus de 3,2 milliards d’euros, soit une croissance de 17% sur un marché qui progresse de 7%. Notre collecte se répartit entre les réseaux bancaires du Crédit Mutuel Arkéa (35 %), Fortuneo (25%) et les sources externes à hauteur de 40% (CGPI, pure players internet, etc.). Tous ces segments progressent, mais à des vitesses sensiblement différentes : +6% pour Arkéa, +11% pour l’externe et +47% pour internet ! »

La croissance se trouve donc sur internet pour l’assurance-vie, et pour Suravenir ?

« Chez Suravenir, depuis le début de l’année, l’assurance-vie en ligne, c’est 27% de la collecte brute, 44% de la collecte nette et 30% des affaires nouvelles. Nous sommes clairement l’assureur qui fait le plus de choses en ligne, même si Generali reste encore devant nous en termes de collecte brute. L’an dernier, nous avons « fait » la progression du marché à nous seuls. Cette année, tout le monde progresse, même si c’est un peu moins vite que nous. Il y a 3 ans de cela, le web pesait 350 millions d’euros dans notre collecte. Cette année, on approche du milliard. En termes d’affaires nouvelles, sur la même période, nous sommes passés de 5.000 à 22.000. »

Récemment, vous signiez un édito du LAB titré « assurance vie en ligne : enfin le décollage ? », listant toutefois un certains nombre de freins au développement, qui ne sont pas encore tous levés…

« Certes, il reste des freins, mais certains d'entre eux se lèvent et l’assurance-vie en ligne, avec ses offres formatées, packagées, ses outils de profilage, contribuent à une certaine forme de vulgarisation. Les médias ont aussi joué un rôle significatif : on ne trouve plus de palmarès qui ne couronne pas de contrat internet.

Dans ce contexte de croissance, ce sont les acteurs de la « ligue 1 » de l’assurance-vie internet [Boursorama, Fortuneo, ING, affichant une collecte annuelle supérieure à 250 millions d’euros, NDLR] qui surperforme. Une prime aux « gros » acteurs capables de mettre œuvre des moyens conséquents en matière de communication. On retrouve ensuite, entre 50 et 250 millions d’euros de collecte, une « ligue 2 » constituée d’acteurs indépendants, généralement « multifournisseurs », sur lesquels Suravenir est aussi particulièrement présent. »

Concernant ces opérateurs de l’assurance-vie en ligne, 2014 n’a pas été marqué par de grosses évolutions. Doit-on s’attendre à plus de mouvement en 2015 ? Des concentrations en vue ? Des nouveaux entrants ?

« Une concentration du secteur demeure en effet une hypothèse crédible. En attendant, de nouveaux entrants devraient faire bouger le marché. Si tout se passe comme prévu, nous devrions très prochainement compter deux nouveaux partenaires : un acteur important déjà sur le marché ainsi qu’un nouvel arrivant sur le web. Je suis convaincu que nous allons aussi voir des FinTech à la française débarquer avec des business models très différents, orientés sur l’utilisation d’algorithmes de calcul. Nous suivons au moins deux projets sur ce terrain, qui sont en phase de levée de fonds et d’obtention d’agrément en tant que société de gestion. Lorsque l’on regarde ce qui se passe sur le marché anglo-saxon, les chiffres sont proprement spectaculaires. »

Pour un assureur comme Suravenir, n’est-il pas trop risqué de miser sur le marché de l’assurance-vie internet, là où les contrats affichent des politiques de frais réduits ?

« Il n’y a pas de miracle. Nous sommes en effet sur des produits offrant des niveaux de marge forcément inférieurs au marché « traditionnel ». Mais en réponse, nous axons nos efforts sur l’automatisation des process. Nous consacrons d’ailleurs actuellement l’ensemble de nos budgets informatiques à ce chantier, pour arriver à une souscription « zéro papier », une dématérialisation totale des contrats, la suppression des tâches de saisie (pour se concentrer sur du contrôle), etc.

Aujourd’hui, cette dématérialisation totale est d’ores et déjà effective pour les clients bancaires de Fortuneo. Et nous travaillons pour généraliser ce mode de fonctionnement en 2015. »

(1) Provision pour participation aux bénéfices (PPB) : selon l’ACPR, « les assureurs-vie ont la possibilité de ne pas distribuer immédiatement la participation aux bénéfices prévue par la législation. Ils disposent pour ce faire d’un délai de huit ans. Au lieu de la redistribuer immédiatement, l’assureur peut donc la provisionner dans un compte appelé provision pour participation aux bénéfices. »