Portant sur des faits datant de la période 2003-2007, l’affaire Apollonia n’est toujours pas close. Présentée comme une vaste escroquerie immobilière, cette affaire met aux prises près d’un millier de particuliers face à Apollonia et ses multiples intermédiaires. Le point avec Claude Michel, président de l’ANVI-Asdevilm, association regroupant 750 victimes.

L’affaire Apollonia, c’est un millier de victimes estimées et une trentaine de mises en examen pesant sur des notaires, banquiers, courtiers, cadres et employés de la société Apollonia, etc. Mais aussi cinq banques un temps mises en examen puis placées sous le statut de témoins assistés (1).

Pour quelle raison ? La société Apollonia est accusée d'avoir escroqué plusieurs centaines de foyers en France entre 2003 et 2007 en leur vendant, au total, pour un milliard d'euros d'appartements surévalués. Les courtiers et notaires sont soupçonnés de complicité, les banques d’avoir apporté leur concours financier à cette escroquerie immobilière. Les particuliers ayant acquis les biens commercialisés se sont retrouvés surendettés, les revenus locatifs et avantages fiscaux liés au statut de loueur en meublé professionnel (LMP), promis par Apollonia, s’étant révélés largement insuffisants pour couvrir leurs créances.

Claude Michel, où en est aujourd’hui l’affaire Apollonia ?

« Pendant six mois, l’affaire n’a plus été instruite ! Le juge d’instruction en charge de l’affaire a en effet été nommé à de nouvelles fonctions en mars 2014. Un nouveau juge d’instruction a pris en charge le dossier au cours du mois de septembre. »

Un juge d’instruction étant à nouveau en charge de l’affaire, espérez-vous des avancées rapidement ?

« Non. Il faut qu’il se saisisse du dossier. C’est un très gros dossier pénal qui compte 70.000 cotes (l’équivalent d’un document ou d’une page, NDLR), contre 5.000 pour un dossier moyen. De mon point de vue, l’affaire s’enlise. Certains jouent l’usure des victimes. Qui ? Je ne sais pas mais certaines personnes semblent avoir intérêt à repousser l’issue de ce dossier accablant pour les banques et les notaires. »

Quand vous parlez de « l’usure des victimes », pouvez-vous être plus concret ?

« Les banques nous ont attaqué en justice, individuellement, pour demander le remboursement de nos crédits. Au départ, les juges nous ont condamnés, constatant l’existence d’actes authentiques signés par des notaires et l’absence de remboursements. Aujourd’hui, les victimes de l’affaire sont toutes en situation de surendettement. Les loyers des biens dans lesquels nous avons investis sont partiellement payés, d’autres pas payés par les gestionnaires, d’autres saisis par les banques… Certains adhérents ne perçoivent aucun loyer. Si tous les loyers étaient perçus, ils couvriraient environ 40% des remboursements d’emprunts auxquels il convient d’ajouter les charges de copropriété, les taxes foncières et la TVA sur les loyers perçus. Nous sommes tous au Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP). Nous ne pouvons donc plus emprunter. Or de nombreux adhérents de ANVI-Asdevilm exercent des activités libérales : médecins, dentistes, biologistes… Ils ne peuvent plus renouveler leur matériel et sont donc fortement handicapés dans leur profession. »

Quand et comment débloquer cette situation ?

« Nous sommes en attente de la fin de l’instruction afin que le dossier pénal puisse être utilisé par les avocats des victimes dans les procès au civil nous opposant aux banques. Chose qui n’est pas possible aujourd’hui à cause du secret d’instruction (2). Or l’utilisation du dossier pénal par les avocats pourrait réellement faire évoluer la situation car il est accablant pour les banques et les notaires. A Paris, une juge de la cour d’appel a demandé une communication de ce dossier. Après en avoir pris connaissance, elle a revu sa position, jusqu’ici défavorable à la victime. Ainsi, si nos avocats pouvaient utiliser le dossier pénal de l’affaire Apollonia, je pense que les jugements seraient inversés, et donc a minima que nos dettes seraient effacées. »

Selon vous, dans cette affaire, qui est responsable ?

« Les courtiers ou autres commerciaux d’Apollonia avaient un intéressement aux bénéfices des opérations immobilières. Mais s’il n’y avait eu que la société Apollonia, personnellement, je n’aurais jamais signé ! J’ai signé parce que j’ai fait confiance aux notaires qui apportaient la sécurité judiciaire. Or, dans un récent rapport, on apprend qu’un notaire a par exemple signé plus de 80 actes dits authentiques liés à Apollonia en l’espace d’une journée pour des clients inconnus répartis dans toute la France ! Ce qui montre bien qu’il y avait une volonté de signer un maximum d’actes. J’ai aussi fait confiance aux banques qui finançaient ces opérations et apportaient ainsi la faisabilité financière à l’escroquerie. Il s’agit peut-être d’un défaut de contrôle, mais dans ce cas cette négligence était volontaire et elle s’est renouvelée des milliers de fois. Aucun membre de l’association n’a eu de contact avec une banque. Si elles avaient fait leur travail, elles se seraient rendu compte du problème. »

Qu’attendez-vous de la procédure en cours et des différents acteurs ?

« De la part des banques : l’effacement des dettes et le paiement des dommages collatéraux. De la part des notaires : des dommages et intérêts. Si les notaires et les banques n’avaient pas failli à leurs devoirs et obligations, il n’y aurait jamais eu d’affaire Apollonia. Et il n’y a dans ce dossier que les banques et les notaires qui ont la capacité de compenser le préjudice subi. Concernant les commerciaux ou autres courtiers, on espère que leurs biens seront saisis – et pas les nôtres comme c’est le cas à présent - puis qu’ils fassent un nouveau séjour derrière les barreaux. Quant à la société Apollonia, elle n’existe plus. Des biens appartenant à la famille des dirigeants ont été saisis en France mais on découvre encore des propriétés, des SCI, etc. Nous souhaitons surtout qu’un tel scandale ne puisse plus se reproduire en France. »

(1) Quatre mises en examen ont été annulées fin 2012. Cinquième établissement concerné, la Banque Patrimoine et Immobilier (BPI), filiale du Crédit Immobilier de France (CIF), est devenue témoin assisté par une ordonnance des juges d’instruction datant du 13 septembre 2013.

(2) Sur son blog, l’avocat Thierry Vallat évoque une décision de la Cour de cassation datant du 25 septembre 2014 qui ouvre selon lui une porte aux particuliers pour l’utilisation de pièces du dossier pénal dans les affaires au civil.