C’est apparemment un fait avéré : un grand nombre de gros contrats d’assurance-vie souscrits en France ont été « transférés » par leurs propriétaires vers le Luxembourg. Au point d’affecter significativement l’évolution des collectes. Retour et analyse du phénomène avec Philippe Crevel, fondateur de la société d’études Lorello Ecodata et secrétaire général du Cercle de l’épargne.

Depuis quelques années, en matière d’assurance-vie, on entend beaucoup parler d’épargnants qui transfèrent leurs contrats de la France vers le Luxembourg. Qu’entend-t-on exactement par le terme de « transfert » ?

« Il ne s’agit pas à proprement parler de transferts mais de contrats individuels d’assurance-vie français qui sont clos pendant que d’autres sont souscrits auprès de sociétés implantées au Luxembourg. Lorsque ces sociétés sont des filiales de groupes français, on aboutit bien à un transfert dans leur comptabilité : une sortie de leurs comptes français et une collecte pour leurs filiales luxembourgeoises. »

Qui cela concerne-t-il ? Peut-on évaluer l’ampleur de ce phénomène ?

« Cela concerne sans conteste les gros contrats d’assurance-vie, ce type de « service » étant plutôt offert par des courtiers et des banques privées. On peut noter une légère tendance à un élargissement de la cible à des clients moins fortunés, mais, selon moi, cela restera l’apanage de patrimoines relativement importants. De fait, la concentration du phénomène sur les gros encours entraîne forcément un impact non négligeable sur le montant total des flux. L’évaluer précisément s’avère néanmoins difficile. Les compagnies d’assurance ne communiquent pas sur ce sujet, pas très politiquement correct, même si ces transferts se font en toute légalité. Néanmoins on peut estimer qu’une dizaine de milliards d’euros ont été transférés en 2012. En 2013 je pense que le rythme s’est un peu ralenti. »

Le phénomène reste cependant suffisamment fort selon vous pour que, comme vous l’indiquiez dans un article de l’Argus de l’assurance, « les chiffres de l’Afa ne reflètent plus réellement la collecte des épargnants français »…

« J’expliquais alors que, même si l’attrait du Luxembourg ne concerne qu’une dizaine de milliers de contrats nationaux, il s’agit encore des plus importants. Par ailleurs, ces transferts impliquent des mouvements qui faussent pendant un temps l’analyse des flux. Si l’on se penche sur le processus de décollecte des années 2012/2013, on sait que ces sorties importantes sont le fait de personnes plutôt âgées avec de gros contrats d’assurance-vie. Et même si les reports vers l’immobilier ont été majoritaires, il est possible qu’une partie ait été transférée au Luxembourg. Sur 2014, l’embellie de l’assurance-vie ne s’explique pas tant par la légère progression des cotisations que par la baisse des sorties. On peut interpréter ce fait de la manière suivante : ceux qui voulaient sortir leurs contrats l’ont fait. »

En parallèle vous soulignez que ce phénomène de transferts de contrats d’assurance-vie s’est accompagné d’une implantation au Luxembourg pour l’ensemble des compagnies d’assurance françaises. Quelles en sont les raisons ?

« En effet, la plupart des acteurs français ont désormais franchi la frontière. Le Luxembourg ayant donné des gages de transparence, même des compagnies dont l’actionnariat est majoritairement public comme CNP y ont créé cette année une filiale. La raison ? Essentiellement pour développer leur réseau de courtage et pouvoir intervenir pour d’autres, comme les CGPI ou les CGP. Fondamentalement, si l’on veut accéder à une clientèle aisée, il faut pouvoir proposer ce type de services. »

Et côté client, quels sont les principaux avantages concurrentiels des contrats d’assurance-vie luxembourgeois ?

« Logiquement, ce sont des arguments qui vont spécifiquement intéresser des personnes disposant de patrimoines importants, à la recherche notamment d’une certaine forme de sécurité. Les contrats luxembourgeois offrent en effet une protection totale du capital en cas de faillite là où les garanties en France sont limitées à 70.000 euros (par assuré et par compagnie d’assurance, NDLR). Une différence qui a dû avoir un impact fort sur certains épargnants en 2012 lors de la crise grecque. L’autre grand avantage des contrats luxembourgeois réside dans leur souplesse de gestion. On peut y loger beaucoup plus facilement une plus large variété de supports comme des actions, etc. Les perspectives de meilleures performances n’étant envisagées que comme une conséquence de cette plus grande souplesse. »

Indépendamment de ce qu’il se passe au Luxembourg, l’assurance-vie est un placement qui semble bien se porter en France cette année, avec des collectes en progression. Votre pronostic sur cette embellie ?

« Je ne me risquerai pas à des prévisions en la matière ! Certes, à très court terme, certains éléments comme la baisse du taux du livret A et la baisse du rendement de l’immobilier influent positivement sur le marché de l’assurance-vie. Mais, fondamentalement, le contexte reste complexe avec toujours une menace sur les taux. Il sera intéressant d’étudier la réaction des épargnants face aux nouveaux produits d’assurance-vie et face aux aménagements de la loi Duflot. »