Les « big data », sujet à la mode en 2014 ? Sans doute, si l’on en juge par la récurrence des commentaires et des points de vue sur ce nouveau paradigme technologique, dont on commence tout juste à entrevoir les multiples potentialités. Le point avec Patrice Bernard, consultant spécialisé dans l’innovation bancaire, blogueur (1) et grand connaisseur des initiatives dans le secteur.

Patrice Bernard, on entend beaucoup parler de « big data », dans divers secteurs dont la banque, sans toujours bien savoir à quoi cela renvoie ? Peut-on tenter une définition du concept ?

« Je reprendrais la définition du cabinet Gartner (2), qui s’articule autour des “3V” : Volume, Velocity, Variety (3). L’idée des big data, c’est d’être capable de traiter en temps réel des volumes colossaux de données de nature très hétérogène : en ce qui concerne la banque, des données issues des comptes des clients, mais aussi des mails échangés, des échanges sur Twitter, des rapports financiers d’entreprise, etc. C’est ce que savent très bien faire aujourd’hui les géants d’internet, comme Google ou Facebook, mais pas encore toutes les banques, qui ont une approche plus classique de l’analyse de données, qu’on appelle aujourd’hui la Business Intelligence. Elles commencent tout juste à comprendre l’intérêt de ces big data. »

Justement, quelles utilisations les banques peuvent-elles faire de cette nouvelle manière de traiter les données ?

« Le principal usage aujourd’hui, le plus accessible pour elles, c’est la lutte contre la fraude. Tout simplement parce que c’est le plus facile à justifier financièrement : on sait exactement combien ça rapporte, donc on est prêt à investir. Concrètement, cela consiste par exemple à recouper les informations liées à une demande d’autorisation de paiement par carte avec l’historique du client, son profil d’acheteur mais aussi son activité sur les réseaux sociaux, qui peut notamment aider à le géolocaliser. Ce type de traitement commence à se mettre en place, par exemple chez Visa. Mais personne ne l’a encore généralisé. »

Autres usages possibles : le marketing et le service aux clients…

« Oui, ce sont des usages qui intéressent beaucoup les banques. L’idée générale est d’exploiter toutes les sources de données possibles pour mieux cibler les propositions commerciales faites aux clients : des données internes à la banque - le type de dépenses effectuées, l’état des comptes, les échanges avec les conseillers, etc - mais aussi l’activité sur les réseaux sociaux, qui peut permettre de cerner ses centres d’intérêt du moment : on détecte qu’un client s’intéresse particulièrement aux voitures, cherche des infos sur le sujet, on peut alors lui proposer un crédit auto. Les big data peuvent ainsi aider à apporter au client un conseil qui soit à la fois pertinent par rapport au contexte du marché et très personnalisé, en fonction de ses besoins du moment, voire prédictif, en anticipant ses besoins futurs, pour être présent juste au moment où ils se manifestent. On peut aussi imaginer des applications bancaires mobiles dont l’interface s’adapte automatiquement aux besoins de l’usager, en mettant en avant le solde pour un client qui est plutôt dépensier, ou les virements pour un autre qui a l’habitude d’épargner… »

Les banques françaises sont-elles aujourd’hui en ordre de marche pour mettre en place ce type d’innovations ?

« Certaines, oui. Je pense notamment au Crédit Mutuel Arkéa, qui a déjà monté une vraie infrastructure big data permettant à ses clients de faire des recherches libres sur une douzaine d’année de transactions. Toutefois, la plupart des banques qui annoncent plancher sur les big data font en fait de l’analyse de données classique. Il y a encore un problème d’expertise : cela demande des compétences particulières, et la plupart des cadres bancaires n’ont pas été formés à ça. Mais c’est en train de bouger et ça peut aller très vite : l’assureur Metlife a ainsi récemment réussi à mettre en place une infrastructure big data en trois mois. »

(1) Sur le site C'est pas mon idée !

(2) Cabinet de conseil et de recherche américain, spécialisé dans le domaine technologique.

(3) En français : volume, vitesse, diversité