Comment l’industrie bancaire française négocie-t-elle le virage des technologies numériques et des nouveaux usages qu’elles créent ? Le consultant et blogueur Patrice Bernard, un des meilleurs connaisseurs français des innovations dans ce domaine, nous livre son point de vue.

Patrice Bernard, la banque, comme d’autres industries, est largement chamboulée par les technologies numériques et les nouveaux usages qui les accompagnent ? Où en sommes-nous, en France, de cette révolution ?

« Les choses bougent depuis 4 ou 5 ans, mais nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements. Pour en voir les premiers effets, il faut se placer à l’échelle mondiale car en France, on ne trouve pas encore de banques très innovantes. A l’étranger, par contre, certaines, comme la Commonwealth Bank australienne, ont déjà compris l’intérêt d’innover et ont mis en place des démarches qui fonctionnent. »

Qu’est-ce qui freine aujourd’hui les banques françaises ?

« D’une manière générale, les banquiers ignorent les technologies émergentes. Elles ne commencent à les intéresser que lorsque des usages se sont déjà développés. Prenons l’exemple du mobile. Une nouvelle technologie émerge - l’iPhone pour faire court. Les gens s’en emparent, des usages se mettent en place, mais les banques ne savent pas trop quoi en faire. On ne veut pas prendre de risques, on préfère attendre de voir ce qui marche, on fait au mieux un test dans un coin. Globalement, ça n’avance pas très vite. »

Qu’est-ce qui explique cette absence de prise de risque ?

« D’abord, les banques françaises sont dans des situations très confortables. Le marché est concentré autour des Big Five, de cinq grands acteurs très puissants. Ensuite, la réglementation bloque beaucoup d’initiatives. Prenons l’exemple du PtoP lending, le prêt entre particuliers. Si la réglementation permettait son développement en France comme c’est le cas, par exemple, en Grande-Bretagne, il pourrait sans doute grignoter rapidement des parts de marché. Enfin, il y a un problème entrepreneurial : nous sommes des bons inventeurs mais pas de bons innovateurs. En France, les gens qui développent les nouvelles idées n’ont en général pas l’ambition d’entreprendre. »

Peut-on imaginer qu’un nouvel acteur profite de ce quasi statu quo pour émerger sur le marché français ?

« A mon avis, personne en France n’aura le courage de se lancer, pour les raisons que je viens d’évoquer. Pour autant, les grandes banques devraient se méfier : elles prennent un risque à rester sur un modèle de confort. A l’étranger, de nouvelles banques se créent, bousculent les modèles traditionnels. Et si elles arrivent à quelque chose dans leur pays d’origine, elles pourraient ensuite avoir envie de tenter leur chance en France. »

Peut-on imaginer qu’une grande banque de détail perde des parts de marché pour avoir sous-estimé un virage technologique ?

« Oui, sans doute. Au sein des Big Five, les banques qui seront les plus agiles, qui s’adapteront le mieux aux nouveaux modèles vont gagner et laisser les autres à la traîne. A mon avis, pour trouver ces gagnantes de demain, il faut chercher parmi celles qui, aujourd’hui, ont déjà entamé la refonte de leur cœur informatique pour l’adapter aux nouveaux usages. »

A quoi pourrait ressembler la banque idéale de demain ?

« Il est impossible de donner une réponse générale à cette question : chaque usager de banque aura la sienne. Pour certains, la banque idéale serait toujours celle qui a son agence au coin de leur rue. L’enjeu pour les banques est donc de réussir à offrir à chacun une relation personnalisée. La technologie leur en donne aujourd’hui les moyens, reste à les mettre en œuvre. »

Consultant, Patrice Bernard est aussi le créateur du blog C’est pas mon idée.