François Hollande, le nouveau président de la République, a récemment publié la feuille de route de sa première année de quinquennat. Parmi les premières mesures prévues très rapidement, on retrouve notamment le doublement du plafond du Livret A, des mesures fiscales et une réforme bancaire. Nous avons interrogé Philippe Crevel, économiste et secrétaire général du Cercle des Epargnants, sur la portée réelle de ces annonces.

Philippe Crevel, le nouveau chef de l’Etat semble vouloir entrer très vite dans le sujet, avec un agenda de mesures déjà chargé pour cet été. Quelles sont selon vous les plus marquantes ?

« Je pense que l’équipe Hollande, au moins jusqu’aux élections législatives [les 10 et 17 juin 2012, NDLR], ne fera passer que quelques mesures symboliques, en entretenant un certain flou sur le reste. J’en citerai deux : le doublement du plafond du Livret A et l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail. Dans les deux cas, il s’agit de mesures populaires, mais ambigües. Le passage à 30.600 euros du plafond du Livret A, produit grand public par excellence, ne concernera pourtant qu’un nombre limité d’épargnants (1), et l’efficacité de la mesure est discutable. Aujourd’hui, on ne manque pas d’épargne courte. La favoriser n’est donc pas forcément la meilleure façon de relancer l’investissement. Et concernant le logement social, son développement actuel n’est pas freiné par un manque de financement, mais plutôt par un manque de projets. »

Qu’en est-il de l’alignement de la fiscalité des revenus du capital et de celle des revenus du travail ?

« C’est un objectif annoncé, mais les moyens de l’atteindre restent encore flous. S’agit-il de supprimer les avantages fiscaux qui récompensent l’épargne longue, pour laquelle les Français ont déjà peu d’appétence ? Cela reviendrait quasiment à signer l’arrêt de mort de l’assurance-vie. Je ne crois pas que le futur gouvernement aille jusque là. Par ailleurs, la fiscalité de l’épargne a déjà beaucoup augmenté sous l’ère Sarkozy, ce qui limite les marges de manœuvre. Une des pistes pourrait être la suppression du prélèvement forfaitaire libératoire (PFL), avec une exception pour les assurances-vie de plus de huit ans. Mais là encore, la mesure aurait ses limites. Aujourd’hui, le PFL n’est avantageux que pour une minorité d’épargnants, ceux soumis aux tranches supérieures de l’impôt sur le revenu. La plupart des Français qui optent pour cette solution le font à leur désavantage, par méconnaissance le plus souvent. Au final, je ne suis donc pas sûr que l’Etat y gagne beaucoup, en tout cas pas suffisamment pour combler les déficits. »

Dans le domaine de la fiscalité du patrimoine, quelles autres pistes pourraient être poursuivies ?

« Si l’on parle de l’épargne longue, notamment pour préparer la retraite, deux produits dominent aujourd’hui : l’assurance-vie, qui concerne 42% des Français, et dans une moindre mesure le PEA. Concernant la première, le gouvernement Ayrault pourrait par exemple aller dans le sens de la Cour des Comptes en allongeant de 8 à 10 ans la durée de vie nécessaire pour bénéficier du régime fiscal le plus favorable. Quant au PEA, qui concerne peu de Français, le gouvernement pourrait choisir de revenir sur les abattements en vigueur pour les dividendes. Mais là encore, ce serait plus du symbole qu’une mesure d’efficacité budgétaire. »

Autre grand chantier promis par François Hollande, la réforme de l’impôt sur le revenu. Que doit-on en attendre ?

« Elle se fera en deux temps : quelques mesures symboliques, dans un collectif budgétaire au mois de juillet, puis une réforme plus conséquente, sans doute dans le cadre de la loi de finances pour 2013. En ce qui concerne le collectif budgétaire, il devrait ramener le plafonnement des niches fiscales à 10.000 euros, un levier facile à utiliser, et déjà actionné récemment par le gouvernement Fillon. On parle également de supprimer certaines niches fiscales, mais lesquelles ? Celles sur les Sofica, qui permettent de financer le cinéma français ? Sur les emplois de proximité, avec les emplois qu’il y a derrière ? L’exercice est délicat. Enfin, la création de nouvelles tranches d’impôt sur le revenu à 45% et 75% est présentée comme une mesure de justice fiscale, mais elle ne rapporte pas beaucoup. Elle est surtout destinée, je pense, à faire passer la pilule de mesures moins populaires, mais plus efficaces. »

Qu’en est-il de la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, qui figure également parmi les promesses de campagne…

« Le premier défi pour l’équipe Hollande sera de réussir à imposer une réforme de fond à l’administration fiscale. Le prélèvement à la source, par exemple, figure dans les programmes de gauche et de droite depuis des années. Mais Bercy possède une capacité de résistance sans limite sur le sujet. De plus, la fusion annoncée entre l’impôt sur le revenu et la CSG, qui permettrait de passer d’un impôt proportionnel à un impôt progressif, comporte un risque : que le mauvais impôt chasse le bon. En effet, l’impôt sur le revenu attire toutes les niches fiscales, alors que la CSG, aujourd’hui, rapporte beaucoup et régulièrement. La fusion des deux, sans prélèvement à la source, pourrait entraîner une dégradation des recettes. »

Quel est votre point de vue sur la séparation annoncée des activités de dépôt et d’investissement au sein des groupes bancaires ?

« C’est une mesure simple à énoncer, mais beaucoup plus difficile à mettre en œuvre. S’agit-il de créer des holdings, avec un cantonnement au sein de structures « Investissement » d’un côté et « Banque de détail » de l’autre ? C’est déjà, en gros, ce qui a cours dans les groupes français. Là encore, nous sommes dans l’agitation de symboles. Dans les faits, la complémentarité des activités est telle que la séparation serait très préjudiciable, et reviendrait à favoriser les grandes banques d’investissement américaines aux dépens des Françaises. Le gouvernement prendra-t-il, par exemple, le risque d’affaiblir BNP Paribas, un des géants bancaires européens ? »

(1) Au 31 décembre 2010, seulement 9% des Livrets A dépassaient, grâce aux intérêts capitalisés, le plafond actuel de 15.300 euros.